Par Frédéric Demarquet –
Le stress est un mal en voie de progression dans la société contemporaine et particulièrement au sein des organisations. Pourtant, le stress est avant tout un mécanisme de régulation qui permet à l’être humain de s’adapter à des situations difficiles, voire extrêmes. Notre cerveau détecte une situation inhabituelle que nous allons devoir vivre : danger, surcharge émotionnelle, surcharge d’activité… et, dans un but adaptatif, il va déclencher la sécrétion de différentes hormones. Parmi celles-ci, certaines de type « booster » nous offrent la possibilité de devenir temporairement plus résistant, plus rapide, plus vigilant, plus fort… et d’autres de type « inhibiteur », nous permettent d’être moins sensible à la fatigue, à la douleur, à la peur… Le stress est alors dit positif puisqu’il nous permet d’affronter ces situations complexes en évitant l’échec et les dommages collatéraux. Cependant, si ces situations deviennent trop fréquentes, les sécrétions hormonales habituelles deviennent moins efficaces et l’organisme doit alors sécréter des corticoïdes naturels qui permettent de tenir le coup, mais au prix de grandes fatigues et d’un épuisement qui ira crescendo si la fréquence et l’intensité du stress ne diminuent pas. Rapidement, le stress lui-même devient source de stress. L’idée même du stress à venir devient stressante.
Pour qu’il y ait stress, il est nécessaire qu’il y ait des sources de stress que je nomme stresseurs. Ces stresseurs peuvent être environnementaux : contexte, charge de travail, relations difficiles avec les collègues, les collaborateurs, la hiérarchie, les clients, ambiance dégradée, manque de visibilité, défaut de communication, inadéquation au poste… Ils peuvent également être internes. Parmi les stresseurs internes, se trouvent la catégorie cognitive (ce que je pense des situations, des autres, de moi, mes représentations, mes croyances, ma vision du monde…), la catégorie émotionnelle (ma capacité à gérer mes émotions, à les transformer, à les écouter…), la catégorie physiologique (mes soucis de santé, mes douleurs, mes maux psycho-somatiques, les conséquences du stress lui-même…). Enfin, entre moi et les autres se trouve la catégorie comportementale, ma faculté à avoir le bon comportement, l’adaptabilité, la souplesse, l’agilité… A ceci doit s’ajouter les difficultés de la vie, les difficultés personnelles…
Lorsqu’on aborde le problème du stress, il est nécessaire d’avoir une vision holistique de la situation. En effet, entre la personne et les différents stresseurs, internes et externes, se construisent des boucles qui se répètent et se renforcent. Et c’est bien au niveau de la répétition de ces boucles qu’il convient d’agir. La fréquence des boucles doit permettre de définir le bon niveau d’action à mettre en place. En effet, ces répétitions renforcent le stress et engendrent de nouvelles boucles à d’autres niveaux.
Ainsi, pour aider une personne à gérer sont stress, il convient d’effectuer un diagnostic précis et de cartographier les différentes boucles. Un travail approfondi d’investigation est nécessaire afin de comprendre comment cette personne précisément construit son propre stress avec elle-même et dans son environnement. N’y voyons là rien d’accusateur. Les êtres humains, malgré nous, construisons de manière singulière nos difficultés et c’est précisément cette singularité qu’il convient de mettre en lumière afin de mettre en place avec la personne l’intervention la plus adaptée pour réduire son stress. Un piège fréquent est d’utiliser des outils ou des techniques clefs en main qui, bien que pouvant être efficaces dans certaines situations, n’auront pas d’effets durables dans d’autres. Afin de s’assurer de la pérennité des actions mises en œuvre, un diagnostic précis est incontournable et permettra ensuite des actions chirurgicales aux bons niveaux de construction du problème de stress.
Imaginons par exemple Sophie qui parle de sa situation ainsi :
« Je suis épuisée car je suis stressée depuis plus de six mois. La charge de travail est insupportable. On le savait car nous sommes en pleine restructuration mais ça dépasse ce que j’avais imaginé. De plus, tout le monde est sous tension et les relations deviennent vraiment difficile. Lorsque je pars au travail, j’ai la boule au ventre et rien qu’à l’idée du stress à venir, je suis stressée. Le soir quand je rentre, je suis encore tellement dans le boulot que je n’arrive pas à décrocher. Mon mai n’en peut plus et mes enfants me reprochent de ne plus être disponible. Je ne suis pas faite pour travailler sous pression. Je ne sais pas gérer. Il faut que j’apprenne à gérer cette pression sinon, je vais craquer. Je ne peux pas me le permettre. Et mon chef est encore plus stressé que moi alors il en rajoute une couche chaque jour… »
Notons les stresseurs :
- Externes :
- La charge de travail
- La restructuration
- Tout le monde sous tension
- Relations difficiles
- Mon mari n’en peut plus
- Les enfants reprochent
- Mon chef en rajoute
- Internes :
- La boule au ventre (physiologique)
- Stressée par le stress à venir (cognitif)
- Je n’arrive pas à décrocher (cognitif et comportemental)
- Pas faite pour travailler sous pression (cognitif)
- Je ne sais pas gérer (cognitif)
- Je vais craquer, je ne peux pas me le permettre (cognitif)
Dans une situation telle que celle-ci, il conviendra ensuite de définir ce sur quoi Sophie peut agir et ce sur quoi elle ne peut pas. On devra alors mettre de côté ce sur quoi elle ne peut pas agir. Puis, il lui faudra hiérarchiser ce qui est le plus source de stress dans ce qui reste afin d’en faire une porte d’entrée définie par Sophie elle-même. Une fréquente erreur est de penser que l’un étant la conséquence de l’autre, il convient d’agir sur le stresseur d’origine. Or, lorsque qu’on regarde comment fonctionne le stress à un instant T sur un mode interactionnel, on peut agir sur l’un ou l’autre. En effet, agir sur l’un influencera l’autre et vice versa. Ce sera donc bien à Sophie de définir ce qui lui semble le mieux pour elle. Par exemple on peut penser que la boule au ventre est la conséquence du stress et que ce n’est pas à ce niveau que doit se situer l’intervention. Pourtant, si Sophie estime que c’est à ce jour ce qui la stresse le plus en partant le matin, alors il serait intéressant de voir ce qui se passe si la boule au ventre diminue.
Toutes les portes d’entrées sur lesquels on peut agir sont possibles et c’est à chacun de définir quelle sera la bonne. Dans la plupart des cas, la personne définit celle qui lui pause le plus problème et c’est souvent le niveau où la récurrence des boucles est la plus fréquente et dommageable. Dès que la boucle évolue et permet un état plus satisfaisant, il convient alors de définir si, dans un but de renforcement du soulagement et donc de baisse du stress, il est utile d’agir à un autre niveau. Dans certains cas, il est possible d’agir simultanément à plusieurs niveaux.
Observer le problème du stress sous un angle holistique en intégrant l’ensemble des boucles entre la personne et les différents stresseurs est un moyen sûr de réussir à réduire l’écart entre le vécu actuel de la personne et son vécu souhaité. Cependant, une dernière précaution reste à prendre : la partie sur laquelle on ne peut agir permet-elle objectivement de vivre les situations avec moins de stress pour la personne ? Et ce sera à elle encore de décider. En effet, s’il lui semble indispensable que l’environnement change pour mieux gérer son stress, alors il pourrait être contre-productif de l’orienter vers cette gestion car ce pourrait être un échec annoncé qui sera source de renforcement du stress. Dans la gestion des risques psychosociaux, c’est un problème que l’on connait bien et qui entraîne un autre type de regard holistique au niveau des diagnostics afin de tenir compte des différents niveaux de prévention pour ne pas créer davantage de dégâts par la solution mise en place.
L’intérêt de ce regard holistique sur un mode interactionnel et donc circulaire entre la personne et les différents stresseurs est prioritairement de construire une intervention sur mesure en utilisant une action chirurgicale. L’observation de chaque système singulier sera la garantie d’une réussite de l’action à venir. Afin de définir cette action, d’autres éléments seront à analyser en fonction des techniques employées par chacun. Ceci revient à dire qu’on peut employer ce mode de diagnostic, résolument systémique, pour opérer des interventions systémiques mais qu’il peut aussi servir de base à d’autre types d’intervention en résolution du stress.