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La réalité est-elle bien réelle?

Vous avez sûrement déjà été en relation avec quelqu’un qui vous soutenez que ce qu’il disait était absolument vrai alors que vous pensiez et voyiez les choses autrement. Ou encore, vous avez été témoin de débats d’idées qui n’en finissaient pas et à l’occasion desquels chacun voulait convaincre les autres de la véracité de ses propos. Plus simplement, vous avez pu ne pas être d’accord sur différents points avec vos proches. Ceci est tout naturel et rien ne dit que l’on doive être d’accord.

La réalité est un sujet délicat car bien souvent, nous confondons deux types de réalités différentes : celles que l’on dit de premier ordre et les autres, de second ordre. Chacun d’entre nous appréhendons nos différentes expériences par l’observation et les moyens de l’observation : ce que je vois, ce que j’entends, ce que je ressens, ce que j’analyse, des pensées réflexes, des émotions… et tout ceci entraînent des conséquences. En effet, nous n’observons pas tous la même chose. Aussi, le fruit de ce passage par l’observation va transformer nos expériences en quelque-chose qui nous est propre, qui nous appartient de manière singulière. Les réalités de premier ordre sont celles que l’on peut dire factuelles et sur lesquelles tous les êtres humains seront d’accord. Par exemple, dans la famille Dubouillon, on peut dire qu’il y a 9 êtres humains : 5 femmes et 4 hommes. Tout le monde s’entendra sur ce qu’est un être humain, un homme, une femme et sur ce que sont les chiffres qui nous permettent de compter. En revanche, si chaque personne évoque comment il voit la famille Dubouillon, bien que vous ayez tous lu la même chose, les mêmes mots, aucun d’entre vous ne fera la même description. Vous ne pouvez faire autrement que d’interpréter ce qui est écrit et d’en faire votre version personnelle. Nous sommes là dans des réalités de second ordre. Celles-ci émanent d’une foultitude d’interactions entre nos pensées, nos valeurs, nos idées, notre humeur du jour, nos expériences passées… Cela revient à dire qu’en second ordre, il n’y a pas de réalité en soi, mais uniquement une réalité pour soi. Il y a donc autant de réalités que d’être humains et dire c’est vrai n’a alors aucun sens puisque ça ne l’est que dans sa propre vision du monde. De nombreuses difficultés de communication proviennent de la confusion qui s’opère entre ces deux types de réalités et de l’idée erronée que sa réalité serait la réalité. Cela entraîne bien souvent une volonté de se convaincre et de convaincre les autres et aboutit régulièrement à des blocages.

 

Observons la famille Dubouillon

Imaginons Théo et Léa (le frère et la sœur) qui rentrent du cinéma:

– Théo : «Ah j’ai adoré ce film ! »

– Léa: « arrête, c’était naze, je me suis ennuyée à mourir.»

– « Non mais t’as rien compris alors ? »

– « Ben si quand même ! Mais bon deux heures pour dire que chacun doit pouvoir être maître de son destin ! »

– « Mais c’est tout le contraire ! On voit bien que personne ne maîtrise rien et c’est ça qu’il veut dire le réalisateur. »

– « Mais non, c’est culpabilisant et moralisateur. »

– « Au contraire c’est hyper rassurant comme message ! »

– « Ben moi, ça ne me rassure pas du tout, ça m’énerve juste.»

– « Parce que t’as rien compris ! »

Ainsi vont les débats d’idées, et ça peut durer très longtemps ! A la fin, chacun est épuisé et agacé et n’a rien appris sur rien sinon que l’autre est bien idiot de ne pas comprendre, ce qu’il savait en général déjà.

 

Et s’ils souhaitent faire évoluer cette situation ?

Cela mérite-t-il de faire évoluer une telle situation ? Rien n’est moins sûr car après tout, les débats d’idées, ça défoule. Et puis à la fin on reste bien convaincu qu’on a raison. C’est sympa quand même d’avoir raison ! Faire évoluer la situation, ce sera forcément admettre à un moment que, comme on échange au niveau de nos interprétations et donc en second ordre, l’autre a autant raison que soi. Ce n’est pas toujours facile à  avaler cette affaire là. Bien sûr, là tout de suite, tranquillement en train de lire cette page vous vous dites que c’est simple mais repensez-y lorsque vous serez en situation réelle. Maintenant, si vraiment Théo et Léa souhaitent faire évoluer les choses, ça leur demanderait à chacun de s’intéresser à la réalité de l’autre plutôt qu’à la leur. Ca veut dire qu’ils devraient faire preuve de curiosité pour les idées de l’autre, le questionner et essayer de comprendre son point de vue. Parce que ce qui intéresse Léa, c’est son propre point de vue et ce qui intéresse Théo, c’est son point de vue à lui. Alors, si Léa commence à s’intéresser au point de vue de son frère, il pourrait se passer des choses intéressantes. Peut-être même Théo commencera à s’intéresser au sien. Rien de sûr évidemment mais on ne sait jamais. Et pareil si Théo s’intéresse au point de vue de sa sœur. Mais tout ça risque de changer beaucoup de choses dans leurs relations. Sont-ils prêts à cela ? Ça peut bouleverser leur équilibre qui repose depuis des années sur la querelle et la compétition. Il faudrait qu’ils réfléchissent bien avant de se lancer.

 

Observons la famille Dubouillon

Imaginons maintenant Sandrine et Christophe, les parents:

– « Chérie, il y a longtemps qu’on n’est pas partis tous les deux, tu ne veux pas qu’on se passe un super week-end à la fin du mois ?»

– « Oh oui tu as raison, j’ai besoin de décrocher, de me vider la tête. On va dire à mes parents de prendre chez eux Théo et Léa »

– « Parfait, tu as envie de faire quoi ?»

– « Ce que j’aimerai vraiment c’est que tu me fasses la surprise. Tu réserves et tu ne me dis pas où on va, comme dans l’émission à la télé !»

– « Bon d’accord, je vais réfléchir… »

 

Quinze jours plus tard :

 

– « Ben c’est quoi cet endroit.  »

– « C’est le retour à la nature, super écolo, rien de tel pour décrocher ! »

– « Mais y’a même pas l’électricité, y’a des courants d’air partout, des bestioles qui entrent et qui sortent et les toilettes au milieu du champ. »

– « Tu voulais te laver la tête, je croyais te faire plaisir. »

– « Et y’a même pas la télé, qu’est-ce qu’on va faire… »

 

On dirait que la surprise est ratée ! En même temps, elle prend quelques risques Sandrine. Évidemment, elle se dit que son mari connaît ses goûts depuis le temps. Il semblerait bien que ce ne soit pas si simple. Car Christophe, il est dans sa réalité de second ordre et pour lui, décrocher et se vider la tête, ça veut dire laisser les contraintes de la vie moderne et faire un retour à la nature. Alors bien sûr il pense bien faire. Pour autant, Sandrine préfère nettement décrocher dans une chambre d’hôtel quatre étoiles avec tout le confort. Le camping, s’était bien quand elle avait l’âge de Manon !

 

Et s’ils souhaitent faire évoluer cette situation ?

La curiosité ! Il n’y a que ça de possible. Être curieux de la réalité de second ordre de l’autre. Pour autant, ce week-end sera un incontournable pour toute la famille. Dans 20 ans, ils en parleront encore. C’est bien aussi de se faire des souvenirs de ce genre. Ils marquent à jamais. Je me souviens personnellement d’une nuit dans une cabane dans les arbres sous un orage et une tempête de vent, nous ne sommes pas prêts d’oublier. Alors, le manque de curiosité peut entraîner parfois des situations cocasses qui ne sont pas à négliger. Et puis Sandrine pourra raconter à toutes ses amies à quel point son mari est peu attentionné. Ça va nourrir les discussions pour quelques temps. Finalement, jusqu’où faut-il aller dans la connaissance de la réalité de ceux qui nous entourent ? Je vous laisse seuls juges. En sachant que quoi qu’il arrive, vous n’en connaitrez de toute façon qu’un tout petit bout.

 

En résumé:

  • Il existe deux types de réalités : de premier et de second ordre.
  • Les réalités de premier ordre sont les réalités factuelles.
  • Les réalités de second ordre sont le fruit de nos observations et de nombreuses interactions.
  • En second ordre, il n’y a pas de réalité en soi mais uniquement pour soi.
  • Pour bien communiquer, il peut s’avérer nécessaire de développer la curiosité de comprendre un peu de la réalité de second ordre des autres.
  • – Ce qui intéresse les autres, c’est avant tout leur point de vue. Si je m’intéresse à leur point de vue plutôt que de défendre le mien, il va se produire des changements dans les interactions.