Comme vous avez dû le comprendre dans les épisodes précédents, si l’on souhaite faire évoluer sa communication, il est impératif de savoir précisément ce que l’on veut faire et voir changer. Pour cela, une définition précise des objectifs à atteindre sera nécessaire. Vous ne pourrez jamais atteindre un objectif trop large ou trop général comme « je voudrais que tout se passe bien avec ma mère ». Parce qu’il y aura forcément des moments où ça se passera moins bien qu’à d’autres. Aussi, vous prenez le risque d’être fort déçu et de renforcer l’idée que vous savez peut-être déjà, à savoir « ça ne changera jamais, sinon dans le sens du pire ».
Un objectif d’évolution relationnelle, si on souhaite mettre toutes les chances de son côté pour l’atteindre devrait être précis, factuel, situationnel et minimal pour commencer. Il est important de visualiser une situation et de définir dans le détail ce que l’on souhaite voir changer dans cette situation. On peut alors choisir la porte d’entrée et autant que faire ce peut, une petite porte d’entrée. Quel premier petit changement souhaitez-vous ? Mieux vaut un objectif minimal réussi qui permettra de passer à la suite plutôt qu’un gros objectif raté qui nous renforce dans l’échec.
S’il semble difficile au premier abord de définir l’objectif de manière précise, vous pouvez commencer par vous poser la question du problème. Quel problème cette situation vous pose ? Comme pour l’objectif, le problème se doit d’être précis, factuel et situationnel. Et attention, il doit bien être votre problème et non pas celui des autres. Méfiez-vous de ne pas externaliser le problème. Par exemple, le problème n’est pas « Mon fils fait toujours la gueule », mais plutôt « Je suis énervé quand mon fils fait la gueule et du coup je m’énerve et alors il fait encore plus la gueule ! ». Ca pourrait être aussi « je ne sais pas comment faire pour que mon fils fasse moins la gueule ». Ces problèmes restent néanmoins assez généraux et il sera nécessaire de les affiner car il est bien normal que votre fils fasse la gueule de temps en temps. Aussi il faudra définir sur quel type de situation c’est davantage un problème pour vous. Ensuite, lorsque vous aurez bien circonscrit le problème, vous pourrez le renverser en objectif en vous posant la question « qu’est-ce que je veux à la place de ce problème ? ».
Et encore une fois, restez réaliste et n’en attendez pas plus que ce qui sera possible et réalisable pour commencer. Les actions minimales sont bien souvent les plus vertueuses pour faire évoluer des situations. Pensez à l’effet « aile de papillon » : un battement d’aile de papillon à l’autre bout de l’océan peut entraîner un tsunami de ce côté-ci. Un petit changement dans votre comportement, par l’effet des co-influences, peut entraîner un autre changement dans votre environnement qui va vous permettre un prochain changement, ainsi de suite. Ne cherchez donc pas une révolution totale dans vos relations familiales du premier coup. Vous risqueriez le blocage.
Observons la famille Dubouillon
Imaginons un déjeuner chez les grands-parents maternels. Martine et Alain déjeunent tranquillement comme ils ont l’habitude de le faire depuis que Martine a pris sa retraite. Celle-ci a décidé qu’à l’occasion du déjeuner, elle allait parler à Alain au sujet des prochaines vacances. Elle voudrait le convaincre de faire un voyage au Costa Rica, bien qu’Alain n’aime pas beaucoup les longs voyages en avion.
– Martine : « Tu as réfléchi à ce que tu souhaites faire pour nos prochaines vacances ? »
– Alain : « J’ai juste envie de me poser dans un coin tranquille, depuis que j’ai eu la grippe, je suis fatigué. Je pense qu’on devrait aller dans la maison de ma sœur, en Auvergne. Je lui en ai parlé l’autre jour, la maison est libre en juin.»
– Martine : «Donc comme d’habitude, tu as tout décidé sans même m’en parler ! »
– Alain : « Je n’ai rien décidé, c’est juste une idée. »
– Martine : « De toute façon, grippe ou pas, tu veux toujours être tranquille. »
– Alain : «C’est vrai, j’aime bien être tranquille. Ce n’est pas nouveau, tu me connais depuis bientôt 50 ans. »
– Martine : «Et moi, tu t’occupes de ce que je veux ? »
– Alain : «Ben tu n’as qu’à le dire ce que tu veux ! »
– Martine : «A quoi bon, tu n’en fais toujours qu’à ta tête ! »
La pauvre Martine semble bien mal engagée pour atteindre son objectif. Elle avait pourtant bien défini celui-ci : convaincre Alain d’aller au Costa Rica. Et pourtant, les choses ont rapidement dérapé. La raison est sûrement en lien avec la première question qu’elle pose et qui est très indirecte par rapport à son objectif. Elle tend alors une perche bien incertaine. Mais ce n’est sûrement pas par hasard, elle connait bien Alain et elle le ménage pour éviter un refus direct. Il y a donc un autre objectif qui entre en compte et qui est un objectif de moyen pour convaincre Alain. Mais était-ce le bon moyen ?
Ceci amène l’idée que lorsqu’on a défini un objectif, il convient de définir les moyens de l’atteindre et que ces moyens sont tous des sous-objectifs et qu’ils doivent être adaptées aux personnes et aux situations. Si on regarde la suite des interactions, on s’aperçoit que Martine suit rapidement un autre objectif qui est de dire à son mari ce qu’elle pense de lui et de régler de vieux comptes qui remontent probablement au début de leur relation. Le Costa Rica s’éloigne de plus en plus ! Lorsqu’on a défini un objectif, il n’est pas facile de garder le cap car on peut vite être submergé par d’autres objectifs que je nomme « objectifs parasites inconscients ». Ceux-ci ont la vie dure et ils ressurgissent très souvent sans même qu’on les ait conviés et nous font perdre le chemin de l’objectif réel.
Et s’ils souhaitent faire évoluer cette situation ?
Il faudrait d’abord que Martine hiérarchise ses objectifs et peut-être s’apercevra-t-elle que régler ses comptes est plus important que le Costa Rica ! Après tout, est-il nécessaire de faire un aussi long voyage pour occuper son temps alors qu’on a une belle occupation à la maison et qui dure depuis 50 ans ? La petite scène de ménage qui se répète à l’occasion de chaque préparatif de vacances, êtes-vous prêt à l’abandonner ? Elle est familière, vous la connaissez bien. Et c’est rassurant finalement de constater que rien ne change. N’écoutez pas tous les professionnels du changement qui vous en vante les mérites. C’est à vous seul de décider. Et vous êtes dans votre bon droit de ne rien changer quitte à en souffrir. C’est votre vie et vous seul devez décider ce que vous voulez en faire. Et puis le Costa Rica, c’est peut-être décevant, il doit y avoir plein de bestioles dangereuses. Rien que les serpents, ils en ont des tas dont la morsure est fatale ! L’Auvergne, c’est bien aussi pour se poser et penser à ce qu’on aurait pu faire au Costa Rica et sans aucun danger. En plus, on peut continuer d’en vouloir à son mari pendant tout le séjour. De quoi occuper les journées mieux qu’en se faisant piquer par des araignées et des fourmis !
Maintenant si Martine souhaite vraiment aller au Costa Rica, il sera nécessaire qu’elle trouve le bon moyen d’entrer en interaction avec Alain. Aborder les choses par la bande, en ménageant sa réaction semble ne pas fonctionner. Un objectif premier aurait pu être de rechercher des informations sur internet et de vanter les atouts de ce pays pour lui, en tenant compte de ce qu’il apprécie en général et donc en s’appuyant sur sa motivation. De fait, Martine opte pour une approche détournée car elle est focalisée sur ce qu’il n’aime pas alors que si elle porte son regard sur ce qu’il aime, peut-être pourra-t-elle lui présenter les choses différemment ? Mais tout cela demande un gros travail de préparation en amont. Martine en aura-t-elle vraiment envie ? Et uniquement pour trois semaines au Costa Rica… D’autant qu’il va aussi falloir qu’elle repère les objectifs parasites inconscients qui l’envahissent habituellement pour être sûr de savoir leur barrer la route. Mieux on connait ses habitudes réactionnelles dans la communication et plus on est en mesure de les modifier.
Observons la famille Dubouillon
Imaginons maintenant la mère (Sandrine)) avec son fils (Théo).
– « Théo, je t’ai déjà dit cent fois de ranger ta chambre ! »
– « Ouais ça va, tu ne vas pas recommencer. »
– « Comment ça ne pas recommencer ?»
– « C’est toujours pareil, c’est ma chambre quand même !»
– « Mais je ne peux jamais faire le ménage ! »
– « Qui te le demande ? »
– « Moi ! Parce que je ne supporte pas de te voir vivre dans la saleté ! »
– « T’as qu’à ne pas entrer dans ma chambre, comme ça tu ne vois rien. »
– « Je vais en parler à ton père parce que moi je n’en peux plus. »
– « C’est ça parles-en à Papa… »
Et s’ils souhaitent faire évoluer cette situation ?
Ce n’est pas gagné là non plus pour Sandrine ! La pauvre se bat chaque semaine pour aboutir au même résultat. Et on voit bien qu’elle le voudrait ce changement, alors je ne vais pas dire à nouveau que peut-être les efforts à venir pour l’obtenir ne méritent pas toute la mobilisation qu’elle devra engager. C’est vrai que si on regarde la situation de plus près, Théo n’a peut-être pas tord, après tout si elle ferme la porte, elle ne voit rien. En en même temps, elle est inquiète pour son fils sûrement avec tous ces acariens ! On perçoit bien le problème : elle n’arrive pas à motiver Théo à ranger sa chambre. Et donc l’objectif tel qu’on le perçoit est de le convaincre. Convaincre n’est jamais un objectif facile et on voit ici que l’autorité ne donne pas de résultat. Dans certaines situations, ça pourrait être la solution mais visiblement pas ici. Encore une fois, les objectifs de moyen doivent être défini à partir de ce qui motive Théo et non pas ce qui motive Sandrine. Par exemple, çà pourrait être de l’autoriser à amener sa petite copine à la maison. Peut-être ne voudrait-il pas qu’elle voit sa chambre dans cet état ? Ou encore de mettre un peu plus de désordre, suffisamment pour que ça le dérange lui-même car il a sûrement une logique pour s’y retrouver dans ce désordre. Son désordre n’est pas celui des autres. Mais bon, je vais peut-être un peu vite avec cette idée. Il faudra d’autres éclairages dans les futurs épisodes pour que vous soyez prêts à l’accepter.
En résumé:
- Un objectif doit être précis, factuel, situationnel et minimal.
- Choisir un objectif trop vague ou trop large peut être une source d’échec.
- On peut passer par le problème pour définir l’objectif.
- Le problème doit également être précis, factuel, situationnel et pour soi.
- Définir les bons objectifs de moyen permettra progressivement d’atteindre l’objectif principal.
- Les objectifs de moyen doivent se définir dans le cadre de ce qui motive l’autre et non pas soi.
- Repérer les objectifs parasites inconscients permet de mieux les éviter et de garder le cap.