Depuis le début de cette série, vous me voyez, épisode après épisode, mettre en doute la capacité des Dubouillon à faire évoluer leurs différentes situations relationnelles. Peut-être me trouvez-vous défaitiste ou en tout cas peu enthousiaste ? Je vais donc dans cet épisode éclairer mes motivations. Mon objectif n’est en aucun cas de les décourager mais de leur permettre de se positionner vis-à-vis du niveau de changement qui sera le bon pour chacun d’eux. Je n’ai en effet aucune idée de ce qui leur conviendra d’un point de vue à la fois quantitatif mais aussi directionnel. Le changement n’est pas une chose simple car il implique de quitter une situation connue, habituelle pour explorer un territoire nouveau, moins connu, voir pas connu du tout.
Chaque être humain, de même que chaque groupe d’êtres humains, tendent toujours à se maintenir en équilibre. L’équilibre est quelque-chose de rassurant, quand bien même il nous fait parfois souffrir. Dans une famille, il existe plusieurs équilibres : individuel, de couple, de fratries, de relations parents / enfants… et bien sûr de la famille toute entière. Chaque relation se construit par le moyen d’une certaine forme d’équilibre et chaque acteur de la relation va tendre à le maintenir.
- Observons la famille Dubouillon
Imaginons Manon, le fille ainée, Léa, la seconde fille et le fils Théo
– Léa à Manon : « J’en ai marre de Théo, il est toujours sur mon dos ! »
– Théo : « N’importe quoi ! »
– Manon : « Tous les deux, je vois que c’est toujours la même chose. Vous passez votre temps à vous disputer, vous n’en avez pas marre ? »
– Léa : « Mais c’est de sa faute ! »
– Manon : « Moi, je vois que c’est toujours toi qui te plains et qui l’agresse. »
– Léa : « Ce n’est pas juste, tu prends toujours sa défense ! »
– Manon : « C’est faux, je dis juste ce que j’observe. »
– Léa : « Si tu étais plus à la maison, tu verrais plus de choses ! »
– Manon : « C’est un reproche ? »
– Théo : « Bon les filles, je vous laisse poursuivre cette passionnante discussion sans moi… »
Vous avez repéré le bel équilibre de cette relation triangulée ? Pas sûr ? Je pense que c’est parce que vous envisagez l’équilibre à partir d’une norme. A savoir une fratrie en équilibre devrait bien s’entendre. En fait, et c’est le second point qui m’amène à bousculer un peu les Dubouillon pour qu’ils se positionnent face à leurs évolutions, il n’existe aucune norme d’équilibre familial. Il revient à chaque famille de définir ce qui lui convient et à chaque membre de la famille de construire son équilibre propre en relation avec les autres. Et c’est bien là que ça se corse !
L’équilibre dont je parle est de type homéostasique. Ceci implique que la famille construit plus ou moins consciemment ses propres règles de fonctionnement explicites et implicites. Et que ces règles entraînent des comportements répétitifs qui parfois peuvent s’avérer difficile à vivre pour les uns ou les autres. Pourtant, il est couramment plus difficile de remettre en question la règle que de la subir. La subir, c’est avancer en terrain connu, vouloir la modifier, c’est faire face à l’inconnu et se heurter à l’homéostasie des autres membres de la famille qui n’ont peut-être pas envie de faire évoluer la situation.
- Et s’ils souhaitent faire évoluer cette situation ?
Et c’est là que vous me retrouvez avec mes interrogations. Doivent-ils faire évoluer cette situation ? Dans un premier temps, il faudrait que Manon, Léa et Théo soient tous d’accords et ce n’est pas gagné. Ensuite, il faudrait qu’ils acceptent d’affronter cet inconnu relationnel qui est totalement à inventer dans leur trio. Et puis ça va demander plein d’efforts. Qui dit que le résultat sera plus intéressant ? Aucune garantie ! Peut-être si seulement l’un d’eux voulait faire bouger les choses, ce serait possible. En tenant compte des co-influences, il y a sûrement moyen. Mais il faudrait devenir très stratégique. Qui va vouloir faire tous ces efforts pour les autres ? Encore une fois, la décision leur revient.
- Observons la famille Dubouillon
Imaginons le père, Christophe et la mère, Sandrine
– Christophe : « Ta mère a encore été très désagréable pendant le dîner ! »
– Sandrine : « C’est vrai qu’elle n’est pas facile… en même temps, elle a aussi des qualités. »
– « Pourquoi il faut toujours que tu la défendes ? »
– « C’est ma mère quand même ! Et la tienne, elle n’est pas facile non plus ! »
– « Que vient faire ma mère ici, on parle de la tienne. »
– « Oui, mais j’en ai marre que tu la critiques toujours, même si tu as un peu raison. »
– « C’est vrai j’exagère, excuse-moi. Et tu as raison, ma mère n’est pas toujours facile. »
– « Oh, il ne faut pas exagérer, j’ai dit ça parce que tu m’agaçais. »
– « Regarde la semaine dernière le bazar qu’elle a mis au barbecue. »
– « Tu regardes toujours le côté négatif, ma mère, ta mère, moi, tes filles. Aucune femme ne te convient jamais ! »
– « Ca y est, la féministe qui débarque ! »
– « Oh tu m’ennuies !! »
Voila un bel exemple d’équilibre. Imaginez qu’après chaque repas familial la même scène se répète. Chacun sait où il va. Pas de mauvaise surprise. Madame va pouvoir valider que Monsieur est un rien sexiste. Monsieur va pouvoir confirmer que Madame est une féministe acharnée qui en veut aux hommes et particulièrement à lui. Rien ne change et c’est plutôt rassurant cette homéostasie-là.
Pour s’extirper de certaines situations homéostasiques, il faudra un solide déclencheur : la situation devient trop inconfortable, un effet accumulation, la vision de quelque-chose de plus intéressant, une rencontre, une lecture, un film, une discussion, une thérapie, un coaching, un évènement… Alors pourra commencer un travail d’exploration de l’inconnu, mu par cette force et ce courage que seule une réelle motivation peut engendrer. Et il en faudra du courage car de nombreuses peurs pourront jalonner la route : être rejeté, abandonné, ne plus être aimé, se retrouver seul, que la situation empire, faire du mal aux autres, ne pas être compris…
- Et s’ils souhaitent faire évoluer cette situation ?
Alors, vous l’aurez compris, loin de moi l’idée de prendre à la légère l’évolution et le changement au sein d’une famille. Et c’est pourquoi je provoque les Dubouillon et le lecteur en toute bienveillance afin de faire réfléchir chacun sur l’orientation souhaitée et le niveau de changement voulu. Personne ne peut décider pour les autres ce qui est bien pour eux et il serait très arrogant de ma part d’émettre la moindre suggestion à ce sujet. Je ne peux que mettre en lumière des processus interactionnels et amener chacun à se positionner.
Ainsi, je ne sais pas ce que Sandrine et Christophe décideront. Peut-être préfèreront-ils rejouer cette scène régulièrement jusqu’à la fin de leurs jours. Et si c’est leur décision, alors c’est la bonne décision. Peut-être l’un ou l’autre, ou encore les feux souhaiteront faire avancer leur relation vers quelque-chose de nouveau ? Et ce sera toujours bien à eux de décider vers quoi et comment et jusqu’où. Quand bien même d’autres personnes pourraient avoir de nombreux avis sur la question.
- En résumé
– Il revient à chacun de se positionner sur le type et la quantité de changement souhaités.
– Le changement n’est pas une chose simple car il implique un cheminement vers l’inconnu et un déséquilibre.
– Il n’existe aucune norme, sinon celles que l’on s’invente, pour définir ce qu’est une famille équilibrée.
– L’équilibre d’une famille, ou encore l’homéostasie est composée des différentes règles conscientes et inconscientes qui constituent la trame interactionnelle de la famille.
– Remettre en cause les règles et s’éloigner du point d’équilibre suppose un déclencheur qui va engendrer une motivation suffisante pour relever les défis du changement.