Par Frédéric Demarquet – Dans le cadre d’actions de coaching, de thérapie, de préparation mentale, de supervision, de facilitation, de mentoring ou encore de consulting, une demande comprend en général l’évocation de problèmes, une projection vers des résultats sous forme d’objectifs ou encore la mise en lumière de besoins spécifiques. La demande peut s’avérer précise, concrète ou davantage distillée au fil d’un descriptif exhaustif d’une situation parfois floue et dans laquelle il n’est pas simple, ni pour le client, ni pour l’accompagnant de s’y retrouver. Une demande peut émaner de la personne ou du collectif accompagnés, d’un prescripteur, de prospects et parfois du mélange des trois avec toutes les variantes possibles d’une demande commune, bien qu’énoncée de manières très différentes. Charge à l’accompagnant de permettre à chacun et tous, lui compris, de converger vers une destination agrée par l’ensemble.
Il existe de nombreuses méthodologies, un questionnement spécifique et des interventions précises qui permettent d’avancer dans la mise en lumière de la demande avec tous les ingrédients qui la composent. Et si l’analyse de la demande pouvait devenir un moyen efficace de résolution ? Si le questionnement prenait la forme d’une méthodologie ouvrant vers une réduction significative de l’écart entre la situation vécue et la situation désirée des clients ? Si la construction d’une intervention stratégique prenait naissance dès les premiers échanges et participait, alors même que la demande n’est pas éclairée, à créer le terreau favorable à l’émergence de solutions spontanées sans que l’accompagnant ni l’accompagnée ne sachent précisément le chemin emprunté par ladite solution ? Car ne nous y trompons pas, le rôle de l’accompagnant n’est pas de trouver des solutions, pas plus que de pousser vers des solutions, mais bien de créer des différences significatives et opérantes dans un système fait de relations et d’interactions entre des comportements, des émotions, des cogitions et tout élément de contexte qui influence significativement la ou les personnes concernées. Œuvrer dans la complexité de systèmes humains, c’est avant tout accepter que l’on ne sache jamais vraiment le chemin que prendra la solution, ni même qu’elle a prise après coup. Tout au plus, pourrons-nous recevoir l’interprétation qu’en fera le client et la confronter pour nous-même à notre propre interprétation d’accompagnant qui n’aura du reste bien souvent que peu de valeur pour le client. En effet, valider l’interprétation du client sera toujours beaucoup plus utile pour lui dans un souci de consolidation et de transposition que de lui décrire par le menu les techniques que nous avons mises en place. D’autant que nous ne saurons jamais vraiment en quoi elles ont été efficaces, sinon par un résultat certes significatif, mais ne validant en rien le chemin singulier qu’a pris la solution pour émerger.
Il n’en demeure pas moins que pour créer le terreau favorable à l’émergence de solutions spontanées ou encore pour favoriser les micros-actions visant à créer des différences significatives pour accompagner un système vers des « sauts homéostasiques » (comprendre le passage d’une homéostasie incluant le problème à une homéostasie incluant la solution), les professionnels de l’accompagnement disposent de nombreux outils issus de l’ensemble des modèles qu’ils utilisent dans le cadre de leurs pratiques. Je vais ici évoquer quelques techniques d’analyse stratégique de la demande que nous développons au Si Institut, soit que nous les ayons modélisées, soit que nous les ayons empruntées (et parfois transformées) à des précurseurs systémiciens que je ne manquerai pas de nommer. Ce qui nous différencie peut-être, c’est la manière que nous avons de les relier entre elles et de les croiser dans une dynamique inclusive et toujours dans une adaptation constante aux réactions de nos clients. Ainsi, à force de les croiser, avons-nous développé une autre manière d’agir en systémicien, reliant les approches de différents modèles plutôt que les opposant et refaçonnant nos outils au gré des besoins des clients. Sont alors nées les systémiques intégratives que nous pratiquons et enseignons.
Bien souvent, de nombreuses approches d’accompagnement ne font pas la part belle aux problèmes et préfèrent alors parler d’objectifs et de solutions. Nous traitons pour notre part les problèmes avec autant d’égard que les objectifs car ils sont l’occasion d’un travail important pour créer le terreau favorable à l’émergence des solutions. Quand bien même un client vient avec des objectifs, nous postulons qu’il rencontre néanmoins a minima un problème qui l’empêche de les atteindre seul, puisqu’il demande à être accompagné. Il arrive fréquemment que plusieurs problèmes s’entremêlent ou se côtoient. Il est alors bien souvent nécessaire d’œuvrer à une priorisation afin de permettre à chacun – client comme accompagnant – de s’y retrouver. Pour ce faire, nous avons développé la technique du « Plateau et de l’entonnoir » qui s’appuient sur les questions à feed-back positif et négatif qui elles-mêmes nous ont été inspirées par les théories du feed-back développées par le groupe de Palo Alto. Le feed-back positif éloigne le système de son équilibre homéostasique alors que le feed-back négatif l’en rapproche. Ainsi, les questions à feed-back positif ouvrent vers de plus en plus d’informations (que l’on va déposer dans notre plateau) alors que les questions à feed-back négatif précisent certaines informations (qui nous permettent de glisser dans un entonnoir sous le plateau). Nous utilisons cette technique pour faire émerger les différents problèmes, les prioriser et ensuite creuser ceux qui seront retenus par nos clients. On trouve alors une première porte d’entrée. Et ce travail est loin d’être anodin pour les clients. En effet, au-delà de la compréhension pour nous-même, il ouvre vers de nouvelles compréhensions de l’organisation des problèmes pour le client qui va progressivement y voir plus clair, ce qui crée déjà à ce stade une première différence significative et porteuse des changements à venir.
Lorsque nous avons priorisé un problème, nous pouvons alors passer à l’étape suivante : celle du scanner dynamique systémique que nous avons modélisé. Celui-ci va permettre de fractionner le problème en une quantité non négligeable de petits morceaux qui participent à la construction du problème global. Les fractions seront constituées d’éléments cognitifs, émotionnels, corporels, comportementaux, relationnels et interactionnels. Ce découpage ouvre vers une portée stratégique importante. En effet, chaque élément devient plus abordable alors que l’ensemble paraissait insoluble au client. Nous pourrons alors permettre à celui-ci de choisir de nouvelles portes d’entrées. Il arrive parfois qu’à ce stade, le client voit déjà, à sa grande surprise, des solutions émerger.
Nous pouvons dès lors basculer vers les objectifs. Que veut le client à la place de cette construction singulière du ou des problèmes ? Nous utilisons ici une nouvelle technique que nous avons empruntée à Dominique Bériot et que nous avons fait évoluer dans nos pratiques. Il s’agit des niveaux d’objectifs qui vont mettre en lien différents objectifs de moyen tout en participant à mettre en lumière l’objectif de fin et la porte d’entrée des objectifs. Ce nouveau voyage dans l’analyse de le demande, orienté par un questionnement précis et rigoureux, va à nouveau permettre une réduction des difficultés rencontrées par nos clients à sortir de leurs problèmes et à atteindre leurs objectifs. Nous croisons fréquemment ici les travaux sur les objectifs avec les techniques Palo Alto de freinage paradoxal et de reliquat non résolu qui vont permettre un positionnement des clients face à leurs demandes et une représentation réaliste de celles-ci.
Au cours de l’ensemble de ce processus d’analyse de la demande, nous utilisons également différentes techniques permettant d’agir sur les éléments cognitifs participants au maintien des problèmes ou bloquant l’atteinte des objectifs. Ces techniques visent des assouplissements cognitifs et sont issues du modèle Palo Alto, du modèle Orienté Solution ou encore de nos propres travaux de recherche et d’expérimentation.
Il n’est pas rare qu’arrivé à ce stade d’une analyse de la demande stratégique, les clients aient initié une large part du travail préparatoire pour amorcer un changement significatif. Le terreau est en partie prêt et des solutions tendent à émerger spontanément dès ce stade. Il conviendra alors de poursuivre avec de nouvelles interventions stratégiques visant à fertiliser autant que possible le terreau tout en bloquant de possibles retours à la situation initiale. Les solutions pourront alors s’enraciner plus fermement et la consolidation permettra de muscler les nouveaux apprentissages tout en évitant les rechutes potentielles.
Une analyse de la demande peut donc se construire de manière fort stratégique et se composer d’une multitude de techniques croisées qui vont préparer le terreau pour l’émergence spontanée de solutions singulières et adaptées à chaque contexte. L’intégratif prend ici toute ses dimensions à la fois adaptatives, régulatives ou encore systémiques dans une construction d’intervention à forte composante humaniste et éthique. En effet, c’est le (les) client(s), qui mène(nt) finalement le jeu et embarque(nt) l’accompagnant à construire une analyse de demande sur mesure. On peut alors dire que le client fabrique son propre terreau, plante ses propres semences et récolte les solutions qu’il choisira ensuite de consommer… ou pas. L’accompagnant œuvre en permanence sous l’influence du client et met les différentes techniques qu’il maitrise au service de celui-ci. Il se laisse donc influencer pour mieux influencer sans jamais savoir précisément les composantes du terreau en devenir ni davantage connaître les solutions qui y prendront racine. Il fait preuve d’humilité face à la complexité et ne la réduit pas à des modèles résolutoires clé en main et hasardeux. Il semble en effet beaucoup plus hasardeux pour l’accompagnant de se barder de protocoles qui donnent l’illusion de la maîtrise que de laisser venir et de ne proposer que ce qui est finalement suggéré par le client. Alors peut-il puiser dans certaines techniques qu’il va mixer, malaxer et croiser pour mieux répondre au besoin de ces travaux sur la demande qui pourront devenir l’écrin même des solutions enfantées par le demandeur lui-même.