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Quand la volonté de simplifier entraine de la complexité

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Par Frédéric Demarquet – Depuis de nombreuses années, gouvernement après gouvernement, nous entendons régulièrement cette volonté tout-à-fait louable de simplifier les procédures administratives et de permettre au citoyen de s’y retrouver plus facilement dans les multiples démarches qu’il doit effectuer au fil du temps. Nos entreprises, publiques comme privées, mettent également beaucoup d’énergie à trouver les voies de la simplification en interne comme en externe. Pourtant, si on interroge les citoyens comme les salariés, force est de constater qu’ils ressentent une complexité de plus en plus importante et que parfois même ils ne s’y retrouvent plus. Et si on interroge les clients de ces grandes entreprises, ils sont bien souvent au bord de la crise de nerfs.

Tenez, l’autre jour, je croise mon voisin à 21h00 sur le trottoir devant l’immeuble. Il avait l’ai fort désemparé et épuisé. Aussi, je l’interroge au sujet de son désarroi apparent. Il m’explique qu’il attend d’un instant à l’autre une livraison de chaises et qu’il espère les réceptionner avant 22h00. Je lui fais part de ma surprise et il me raconte cette histoire : Il inaugure demain sa nouvelle salle de formation et il reçoit 10 stagiaires. Cependant, il n’a pas été livré de ses chaises il y a deux jours comme prévu et depuis, il a vécu ce qui lui semble ressembler à l’antichambre de l’enfer ! Il a appelé le magasin parisien qui lui a vendu les chaises et, après trois sonneries, il est tombé sur un répondeur qui lui a posé moult questions auxquelles il devait répondre par oui ou par non. Le répondeur a fini par lui dire qu’il allait être mis en relation avec son magasin et après 16 sonneries précisément, il a été mis en attente avec musique à la clef. 10 minutes après, une charmante personne avec un fort accent indien lui répond avec toutes les politesses requises. Il lui explique son problème et elle lui répond que ce n’est pas sa compétence et qu’il doit joindre son magasin parisien. Il lui dit alors qu’il a justement composé le numéro parisien et qu’il a été redirigé vers son service et elle lui répond à nouveau que ce n’est pas sa compétence et qu’il doit joindre son magasin parisien. Il lui fait part de son désarroi et elle lui répond que ce n’est pas sa… la charmante jeune femme venait de se transformer en disque rayé, impossible d’obtenir davantage. Interloqué, il raccroche alors et recompose le numéro du magasin, il passe l’étape du répondeur poseur de questions, des 16 sonneries, de la musique qui commence à lui taper sur les nerfs et… une charmante personne lui répond avec un fort accent indien : ce n’est pas de ma compétence et vous devez contacter votre magasin parisien. Il recommence ainsi 10 fois la manœuvre et l’histoire se répète avec dix nouvelles charmantes personnes. Épuisé et sur les nerfs, il décide de se rendre au magasin en question. Là, coup de chance, il tombe sur le vendeur qui l’a conseillé pour l’achat de  ses chaises et celui-ci lui dit qu’il va régler le problème. Il revient quinze minutes plus tard et lui annonce qu’il sera livré le lendemain dans la soirée, entre 20h00 et 22h00 mais que les chaises seront laissées sur le trottoir et que ce sera à lui de les monter dans sa salle de formation. Heureusement qu’il n’attendait pas un canapé ! Et voilà donc mon cher voisin qui attend fébrilement en imaginant déjà qu’il va devoir faire assoir ses stagiaires par terre.

Vous avez tous vécu de semblables histoires qui peuvent parfois s’avérer sans fin et insolubles et vous laissent épuisés et hagards avec un sentiment bien désagréable de perte totale de contrôle sur les évènements. L’interlocuteur n’est jamais le bon, c’est toujours la faute de l’autre service, les pauvres employés des centres d’appels sont en première ligne pour réceptionner nos revendications bien justifiées et parfois véhémentes. Et les usagers retrouvent exactement les mêmes difficultés avec les services administratifs. Et ces mêmes services retrouvent les mêmes difficultés en interne, tout comme les entreprises privées. Comment en est-on arrivé à une telle complexité alors même qu’on se targue d’une simplification toujours plus imminente ?

Ceci est vraisemblablement plurifactoriel et pourtant, lorsqu’on observe de plus près ce qui se joue, on s’aperçoit rapidement que les solutions utilisées pour venir à bout de la complexité font toutes parties de la classe des process. Un process qui remplace ou s’ajoute à un autre process. Comme chacun le sait, un process est une procédure figée qui évolue peu et qui se répète de manière immuable. Ceci ne laisse aucune place au libre arbitre et à l’initiative. Il faut suivre la procédure. Tous les problèmes rencontrés sont pourtant bien des problèmes humains et traiter les problèmes humains sans laisser la moindre place à l’adaptation et à la souplesse semble bien voué à l’échec. La difficulté pour nos entreprises est de maîtriser la complexité engendrée par leur développement, l’appartenance à des groupes et par l’ouverture sur des systèmes de plus en plus grands (nation, Europe, monde), chacun apportant son lot de process qui s’additionnent de manière exponentielle. Il faut alors prévoir de nouveaux process pour les intégrer, pour les rendre assimilables par les process existants. Derrière cette course aux process se trouve la volonté vaine de contrôler l’incontrôlable. La boucle se referme alors car nous engendrons des paradoxes en créant de nouveaux process pour simplifier ce qui nous échappe et ces nouveaux process complexifient davantage encore et plus personne ne s’y retrouve : ni les usagers, ni les salariés, ni les clients.

Je suis passé il y a quelques jours au guichet d’une de nos grandes entreprises de transport car je ne pouvais solutionner mon problème via internet. La charmante personne qui m’a reçu semblait également bien ennuyée et elle a appelé sa responsable qui ne voyait pas la solution elle non plus. Elle a alors décidé de sortir du process et a effectué une opération pas tout-à-fait autorisée. Elle a résolu mon problème grâce à son libre arbitre et à l’usage qu’elle en a fait à l’encontre des process. Elle a fait preuve d’initiative et à satisfait le client de son entreprise. Je crains cependant fort qu’elle risque la sanction en cas de récidive !

L’être humain, comme tout être vivant sur notre belle planète, dispose de cette jolie faculté de s’adapter pour évoluer et survivre. Aussi, lorsque des process viennent figer ses possibilités, tout comme la plante qui cherche le chemin vers la lumière, il va s’adapter jusqu’à une certain point puis trouver le bon contournement pour son évolution ou bien mettre en péril son équilibre. Aussi, il semblerait intéressant que les process anticipent ce fait afin de permettre dans le texte le recours à l’adaptation, à la régulation et à l’initiative personnelle. Chaque acteur pourrait s’y retrouver et les organisations comme la société aboutir à un gain certain. Le process tend à anticiper ce qui ne peut l’être dans son entièreté, puisque généré par des réactions humaines, des émotions, des ressentis… et se devrait par conséquent d’être investi de la possibilité de s’adapter en temps réel et au cas par cas pour aboutir à un premier pas vers davantage de simplicité. Nous pourrions alors passer du contrôle à à la régulation, tenant compte des boucles interactionnelles qui seules, par leur écoute et leur observation en temps réel, peuvent nous permettre de réduire l’écart entre un problème et une solution.