Par Frédéric Demarquet – La systémique appliquée aux sciences humaines est née aux Etats-Unis dans les années cinquante sous l’impulsion du groupe de Palo Alto. Elle s’est ensuite plus largement répandue dans le monde, particulièrement grâce aux nombreux écrits de Paul Watzlawick. Depuis les années 80, elle est en légère perte de vitesse. La raison première est le vide laissé par la disparition des « anciens » de Palo Alto et le peu de publications actuelles. Elle se fait alors voler la vedette par d’autres approches dont les praticiens et chercheurs sont davantage prolifiques en termes d’écrits. Pourtant, force est de constater la pertinence et l’efficacité des différentes approches systémiques et leur place parmi les différents modèles d’accompagnement des individus, des groupes d’individus et des organisations est bien légitime.
En France, après un retard considérable d’intégration des approches systémiques, la tendance semble se modifier depuis les années 2000. Cependant, on observe encore de fortes résistances à faire appel aux méthodes qui sont proposées par les différents modèles existants. L’une des explications principale est l’imprégnation forte exercée par la psychanalyse et son orientation résolument tournée vers le passé et la question fondamentale du « pourquoi ? ». Le postulat étant alors que si l’on trouve les causes et les acteurs responsables d’un problème, la solution émergera de surcroit. Le second postulat étant que ce qui nous pose problème dans le présent sont les conséquences de dysfonctionnements passés.
A l’occasion de consultations, je rencontre souvent des clients qui privilégient la compréhension à la résolution. L’aspect intéressant de cette orientation est la réelle curiosité à comprendre. Le praticien systémicien se doit alors d’utiliser cette curiosité pour la rediriger progressivement vers la question du « comment ? ». Comment cela dysfonctionne ici et maintenant et comment le faire fonctionner différemment ? Le regard va alors se porter du présent vers l’avenir.
Le postulat de la systémique étant que si l’on résout les problèmes que l’on rencontre dans le présent, les dysfonctionnements passés et leurs influences négatives sur l’ici et maintenant deviennent caduques. Je ne cherche pas ici à opposer la psychanalyse et la systémique d’un point de vue qualitatif, mais simplement à démontrer que chacune de ces approches peut être bénéfique et qu’il convient de trouver la bonne approche, en lien avec un objectif à atteindre. Bon nombre de personnes qui utilisent la systémique pour la première fois sont surprises d’atteindre rapidement un résultat sans pour autant avoir creusé les causes du problème. Cependant, notre intérêt important en France pour la psychanalyse demande à développer une curiosité nouvelle à développer ce regard systémique, davantage pragmatique et tourné vers des résultats précis.
Le second aspect qui crée des difficultés à développer la systémique en France est la confusion que nous faisons fréquemment entre deux types de réalités différentes : premier et second ordre. Les réalités de premier ordre sont celles que l’on peut dire factuelles et « scientifiquement prouvables ». Les réalités de second ordre sont issues des interprétations individuelles et singulières que chacun se fait d’une situation. On peut donc dire en second ordre qu’il n’existe pas de réalité en soi, mais uniquement pour soi. Cette confusion n’est pas sans conséquence, puisque, lorsque nous agissons sur du premier ordre, nous créons des process pertinents et efficaces. Cependant, si nous succombons à la tentation de développer des process « clé en main » dans des réalités de second ordre, nous allons bien souvent aboutir à des échecs, voir à des blocages humains importants. Ainsi, voit-on fleurir de plus en plus de process dans les entreprises et pour autant, la situation est de plus en plus compliquée.
Alors, on fait toujours de la même chose et on crée de nouveaux process qui entraînent encore davantage de difficultés. C’est ce que se propose également de faire nos gouvernements quant ils nous annoncent des allègements par la simplification et que rien n’a jamais paru plus complexe que la situation actuelle. Et je suis bien certain que les process qui vont s’ajouter pour simplifier le tout vont compliquer à coup sûr les choses dans les années à venir ! Les systèmes humains ont cette particularité de développer leurs propres solutions avec cette énergie étrange que l’on nomme le libre arbitre. Aussi, agir sur des humains, c’est agir sur des réalités de second ordre multiples et s’attendre à des réactions spontanées ou organisées. La systémique propose donc, à partir de méthodologies précises, de construire des interventions sur mesure et adaptées à chaque personne ou système humain et à avancer par régulations successives jusqu’à l’atteinte d’un objectif défini. Evidemment, face au manque de temps et à la course effrénée que nous subissons de plus en plus, il est normal que des résistances s’installent quant à l’utilisation de ces approches. Pourtant, force est de constater que le temps pris au départ est largement compensé à l’arrivée.
Je pourrais citer d’autres aspects de la systémique qui génère de la résistance comme par exemple le non déterminisme. En effet, la systémique soutient qu’on ne peut prédire quelle sera l’évolution précise d’un être humain ou d’un groupe humain mais annoncer cela dans le pays de Descartes ne peut que générer sinon de la résistance, a minima des huées ! Je pourrai aussi ajouter que les approches systémiques sont non normatives mais là encore, j’ai bien peur de freiner l’engouement du lecteur. Enfin, les approches systémiques sont des approches résolument interventionnistes et, par conséquent, les praticiens systémiciens usent de leur influence pour faire évoluer les systèmes humains. A nouveau, je vais me heurter à un tollé général tant notre culture nous dit de ne pas trop nous mettre en avant, de ne pas faire ni vague ni bruit…
On pourrait analyser d’autres facteurs qui génèrent de la résistance à la démocratisation des approches systémiques en France, mais je crois avoir donné suffisamment d’arguments pour développer ou entretenir la résistance du lecteur à s’intéresser à ces approches. Je vais donc conclure ce billet de blog ici, en vous souhaitant une belle rentrée 2016. Peut-être aurais-je le plaisir de croiser ou recroiser certains d’entre vous cette saison. En tout cas, si votre résistance à découvrir la systémique ne s’est pas développée à la lecture de ce billet, peut-être êtes-vous prêt à tenter l’aventure passionnante qui consiste à s’immerger dans un changement profond de paradigme ? Sinon, je crois que vous allez devoir patienter encore un peu… mais tout n’est pas perdu vu sous un angle non déterministe.