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Un regard systémique sur la planète

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Par Frédéric Demarquet – En débutant cet article, je m’adresse tout d’abord aux climato-sceptiques : si vous souhaitez être agacés dans les cinq minutes qui suivent, poursuivez la lecture. Dans le cas contraire, je vous invite à ne pas aller plus loin. Et pour tous les autres, les idées que j’avancent ici sont guidées par le regard systémique que je porte sur le sujet et ne sont pas une vérité en soi. Juste une proposition réflexive qui est ouverte au débat et s’accommode fort bien d’échanges, de contradictions, voire même d’oppositions.

J’entends souvent dire dans des discussions, des lectures, sur les médias, qu’il faut sauver la planète. A chaque fois, je m’interroge sur le bien-fondé de cette manière d’évoquer les dérèglements climatiques et écologiques. En effet, notre planète est vieille de 4,55 milliards d’années et devrait voir amorcer son déclin dans environ 5 milliards d’années. On peut donc dire qu’à l’échelle humaine, elle est dans la force de l’âge. Une quarantenaire en somme. Et chacun sait qu’elle a connu de sacrés revers, comme la chute d’un gros astéroïde au Mexique il y a 66 millions d’années et qui, vraisemblablement, provoqua la disparition des dinosaures et de la plupart des espèces vivant sur Terre à cette époque. En termes de réchauffement, on peut dire qu’elle a connu sûrement l’un des pires, puisque l’énergie dégagée alors fut plusieurs milliards de fois supérieure à celle d’une bombe atomique. Ce réchauffement fut bref et suivi d’une période glaciaire avec des moyennes de -34° sur l’ensemble de la planète. La surface fut brûlée, puis gelée et néanmoins, ce ne fut pour la Terre qu’un petit incident de parcours sans grande conséquence pour elle-même. Une petite brûlure au second degré, suivie de quelques gerçures…Les conséquences furent en revanche massives pour les espèces vivantes animales comme végétales et celles-ci mirent des millions d’années à repeupler la planète. Et cet évènement fut sûrement l’un des ingrédients qui permit notre apparition dans l’échelle de l’évolution. A toute chose malheur est bon ? Peut-être… ou pas ?

Il est certain que la planète mourra dans un réchauffement suprême puisque mangée par le Soleil qui, lui aussi, se trouve au milieu de sa vie qui durera environ 13 milliards d’années. Avant de s’éteindre, il se transformera en géante rouge et absorbera tous les astres environnants. C’est en tout cas l’un des scénarios avancés bien que d’autres pensent que la Terre ne sera pas totalement absorbée et pourrait entrer en fusion tout en se déplaçant vers Mars. Il semble encore difficile de mettre tout le monde d’accord sur ce point.

Bref, toute cette introduction teintée d’astronomie pour en revenir à la planète aujourd’hui et au réchauffement climatique qui nous occupe en ce début de 21ème siècle. Mon propos n’est bien sûr pas d’avancer qu’il n’est pas important et sans conséquence. Mais pour quoi, pour qui ? Sûrement pas pour la planète qui en a connu bien d’autres. Mais en revanche pour les nombreuses espèces qui en subissent les conséquences et pour l’humain et nos enfants bien sûr. Il ne s’agit donc pas de sauver la planète mais bien de sauver les espèces vivantes dont l’humain. Et le chalenge est de taille. En effet, le développement de notre cerveau couplé à la tendance instinctive de l’homme à se développer, à conquérir, nous amènent progressivement à construire des complexités sur de la complexité. Je m’explique : la planète Terre et son écosystème global sont en soi d’une extrême complexité. La systémique voit la complexité comme la somme de tous les échanges qui s’exercent entre l’ensemble des éléments d’un système. Ces échanges permettent, par des régulations spontanées, de maintenir une homéostasie globale à l’ensemble. Par exemple, lorsque le froid arrive, les arbres échangent des informations entre leurs différents éléments, ainsi qu’entre eux, et ils vont arrêter de nourrir les feuilles, les sacrifiant au profit des branches et des racines. Ainsi, l’arbre peut survivre à l’hivers et se régénérer pour poursuivre son cycle au printemps. Lorsque des animaux perçoivent un danger, ils vont échanger des informations pour se protéger et protéger leurs congénères. Certaines espèces vont jusqu’à sacrifier une partie de leurs membres pour sauver les autres. On voit ceci très fréquemment dans des nids d’insectes comme les fourmis ou les frelons. La complexité est donc appréhendée en systémique comme une opportunité, puisqu’elle permet la réalisation de buts et la survie par le moyen d’échanges entre les éléments des différents systèmes vivants.

L’humain, du fait de sa propre complexité individuelle et collective, ajoute de manière exponentielle de la complexité à l’ensemble du système Terre. Ceci pourrait donc être des opportunités supplémentaires. Cependant, les finalités de la nature sont dans l’ensemble assez cohérentes pour sa survie, ce qui n’est pas toujours le cas des finalités humaines qui entrent fréquemment en opposition. Ainsi, ce que nous construisons pour notre survie peut parfois se retourner contre nous.

La nature possède un savoir inné qui lui permet de capter des informations nombreuses extraites de la complexité pour s’adapter et survivre. L’ensemble des espèces vivantes, que nous voyons bien souvent comme inférieures à nous-mêmes, ont un sixième sens, voire davantage, qui participent à ces comportement régulatoires. L’être humain, du fait en partie de la modernité, de la vie urbaine, du développement des sciences et sûrement d’autres facteurs, s’est coupé de la nature. Aussi, bien souvent, il se voit comme à l’extérieur de celle-ci. Il semble avoir oublié qu’il fait partie de cette nature et de ce tout. Il prend bien souvent une posture arrogante et de contrôle sur le vivant en général, qui par essence est incontrôlable. De plus, cet éloignement de sa condition première d’élément de la nature lui a progressivement fait perdre ses facultés à percevoir certaines informations émanant de la complexité. Il a ignoré son sixième sens au profit de son intelligence moderne et des technologies qu’il développe. Il est intéressant de constater que lors du terrible tsunami en Asie du Sud-Est en 2004, des peuples indigènes des îles Andaman et Nicobar furent épargnés car, vivant en osmose avec la nature environnante, ils sont toujours connectés à leur sixième sens. De fait, ils ont pu observer, entendre et ressentir la catastrophe bien avant que la vague ne déferle sur leurs côtes et se réfugier dans les montagnes. Aucune intelligence moderne ni aucune technologie de pointe ne permirent de sauver les quelques 230.000 morts de ce jour funeste. Je parle d’intelligence moderne par contraste avec l’intelligence ancestrale que connut l’homme lorsqu’il s’intégrait encore à la nature. Et il ne s’agit pas d’opposer les deux mais au contraire de les réunir. Quelles plus-values intéressantes pourrait-il y avoir à cette rencontre. Et si les deux ne savent pas toujours cohabiter en un seul être, du moins la collaboration de ces différentes intelligences entre plusieurs personnes pourrait faire l’affaire. Mais, le sixième sens, l’instinctif et l’intuitif n’ont pas le vent en poupe dans le monde moderne de la technologie, des sciences exactes et du contrôle. Pourtant, certains scientifiques tendent aujourd’hui à œuvrer dans cette direction. Ainsi, voit-on des astronomes collaborer avec des auteurs de sciences fictions cars ils ont pu constater que leurs imaginaires pouvaient s’avérer parfois prémonitoires. Des chercheurs œuvrent à faire le lien entre objectivité et subjectivité dans les sciences depuis longtemps, tout en cherchant une réponse bien souvent objective, ce qui pourrait s’apparenter à un paradoxe et donc à une forme d’impasse. Doit-on tout expliquer ou doit-on apprendre à réguler bien que n’ayant pas tout compris ?

La systémique met en avant la notion de process qui englobe toutes les régulations invisibles, ininterprétables et spontanées qui se mettent en place dans les systèmes vivants pour maintenir leurs équilibres et atteindre leurs buts. Ainsi, lorsqu’une équipe de foot marque un but remarquable, il est possible d’analyser certains facteurs de réussite, mais sûrement pas d’envisager l’ensemble des éléments qui ont permis à cette équipe d’arriver à ce résultat. Ils font en effet partis du process et sont inconscients. Lorsqu’un musicien exécute une partition de manière magistrale, de la même manière, il serait bien illusoire de comprendre tous les ingrédients qui permirent d’aboutir à cette interprétation. On pourrait dire que s’exerce un lâcher-prise du volontaire sur le process. Et c’est devenu un long apprentissage pour les êtres humains de revenir au process tant il a fait de découvertes, expliqué, rationnalisé. C’est en quelque sorte le revers du progrès, de l’intelligence moderne. Le chalenge aujourd’hui est donc de réunir les deux : process et volontaire tout comme intelligence ancestrale et moderne.

Après ces digressions, revenons à notre sujet planétaire. Il semble que les êtres humains auraient donc un bénéfice certain à équilibrer leurs intelligences aussi dans la gestion de leur cohabitation avec la planète et ses autres occupants, dans une perspective écologique et durable. Cependant, ceci est fort complexe aujourd’hui car écouter son intelligence ancestrale pourrait entrer en opposition avec les enjeux économiques, idéologiques et politiques. Aussi, peut-être est-il préférable de ne pas écouter l’intelligence ancestrale car intuitivement, chacun ressent combien de renoncements cela implique ? Est-on prêt à sacrifier une part du confort moderne au bénéfice de l’écologie ? Et je ne parle pas uniquement des actionnaires et des dirigeants mais bien de nous tous qui, comme moi-même alors que j’écris ces lignes, tenons de beaux discours sur ces sujets tout en poursuivant, à quelques adaptations près, nos vies quotidiennes ? Et je n’accuse pas, ni moi ni les autres. Je constate juste que ce n’est pas facile bien que nous observions chaque jour des effets d’accélération qui se mettent en place. La systémique dit des effets d’accélération qu’ils sont dû à la rencontre de plusieurs dynamiques de régulation au sein de la complexité d’un système. Par exemple, lorsque nous avons été confinés à l’occasion de la Covid, la peur de manquer s’est installée, chacun s’est précipité au supermarché pour faire le plein, les rayons se sont vidés, les usines ont dû stopper la production en raison du confinement, chaque pays s’est replié sur lui-même et les conséquences sont encore présentes presque quatre ans plus tard. D’autant que la Covid a accéléré la volonté de réorganisation de vie de certains et que les entreprises ont de plus en plus de mal à recruter. Cet ensemble de facteurs accélère les pénuries et carences dans certains domaines.

Au niveau de la planète, on pourrait citer l’exemple des gaz à effet de serre qui entraînent le réchauffement qui crée des besoins en climatisation qui génère plus de réchauffement. A ceci vient s’ajouter la fonte des glaces qui met en danger certaines populations qui vont devoir migrer, ce qui crée des tensions politiques et sociales qui entrainent des conflits. La fonte des glaces va aussi libérer le permafrost, qui va créer des dangers sanitaires qui seront accélérés par les moyens de transport modernes… Et le tout va entrainer de nombreuses autres conséquences qui en entraineront d’autres qui vont s’ajouter aux premières… Ceci semble un scénario pessimiste et pourtant, nous entendons de nombreux climatologues tirer la sonnette d’alarme car ils constatent que les échéances se réduisent. Et en même temps, nous entendons via les médias tous les dommages collatéraux qui viennent s’ajouter. Il y a donc sûrement des effets d’accélération à bien des niveaux.

Le modèle systémique de Palo Alto nous apprend que lorsque nous faisons des tentatives de solutions infructueuses, il convient de les stopper et de faire différemment, idéalement à 180° de ce qui a été fait. Il nous enseigne aussi que bien qu’ayant l’impression d’avoir tenté de nombreuses choses, elles se résument souvent à la même classe de tentatives. Un exemple : un chef d’entreprise souhaite que ses collaborateurs deviennent plus autonomes. Il a entendu parler des entreprises libérées et aimerait se rapprocher de ces modèles. Il fait donc passer fréquemment des messages dans ce sens, invite à l’autonomie, recadre quand il constate que ça ne marche pas, s’énerve de voir que ses collaborateurs n’évoluent pas, crée une charte de l’autonomie… Il finit par dire qu’il a tout essayé. En fait, il a toujours fait de la même chose, à savoir imposer l’autonomie, ce qui entraîne immanquablement le contraire.

Ne faisons-nous pas un peu pareil en en cette période cruciale de notre histoire humaine ? Toutes nos tentatives de solutions ne sont-elles pas inscrites dans la même classe : celle du contrôle arrogant ? Force est de constater que plus le problème s’envenime et plus nous mettons en place des mesures qui tendent à prendre le pouvoir sur le vivant. C’est un peu comme en agriculture : moins un champ produit et plus on met d’engrais chimique, tuant ainsi progressivement l’humus composé d’une foultitude de micro-organismes qui œuvrent pour nous. Immanquablement, plus on met d’engrais, plus le terreau agonise, moins il peut produire et plus on met d’engrais… C’est un cercle vicieux qui aboutit à la mort du sol. Alors, nous l’abandonnons et allons cultiver ailleurs. N’est-ce pas le même réflexe qui occupe certains humains qui rêvent de coloniser d’autres planètes ? On laisse une Terre agonisante et on conquière d’autres territoires vierges pour recommencer. Bien sûr, c’est aujourd’hui bien illusoire mais imaginez que demain nous puissions atteindre une autre planète habitable. Ne poursuivrions-nous pas encore plus dans la destruction pour aller ensuite nous installer ailleurs et recommencer les mêmes erreurs ? Il est fort probable que oui.

Cependant, les effets d’accélération risquent de ne pas laisser le temps à la science de faire les découvertes nécessaires à notre migration vers de nouveaux mondes. Pourtant, nous poursuivons dans la même voie, ajoutant des tentatives de solutions sur d’autres et avec des résultats proches de pas grand-chose. Comme évoqué plus haut, les enjeux sont colossaux et l’équation devenue d’une complexité extrême. Un premier pas serait sûrement de commencer à collaborer avec notre planète et donc avec la nature. Ce qui se fait du reste formidablement bien par de nombreuses micro-initiatives disséminées dans moults points du globe. Les consciences s’éveillent un peu partout. On apprend à écouter ce que la nature nous enseigne, à interagir avec elle dans une forme d’intelligence retrouvée. On tend à raviver la flamme du sixième sens qui dort en nous. Se pourrait-il que ces initiatives locales influencent progressivement suffisamment le système global pour le faire évoluer ? Il conviendrait que nos dirigeants économiques et politiques exercent un autre 180° : celui de se laisser influencer par ces initiatives et d’accepter de lâcher le contrôle au profit d’un esprit collaboratif. C’est un peu comme dans une entreprise : on voit aujourd’hui que lorsque la tête contrôle l’ensemble, ça devient compliqué et que la concertation, la mutualisation, la co-construction et la collaboration multidirectionnelle tend à donner de meilleurs résultats. Et tous les dirigeants d’entreprises ne sont pas prêts à ces mutations. Les dirigeants du monde le sont-ils davantage ? Et les influences locales peuvent-elles être suffisantes ? Vraisemblablement pas à ce stade. Pourtant, le principe de totalité de la théorie des systèmes nous dit que la modification d’un élément peut entraîner des changements dans l’ensemble. Les initiatives locales sont donc porteuses d’espoir…

Il reste un point que nous enseigne la systémique et qui pourrait conforter cet espoir : il est parfois nécessaire pour qu’un système fasse un changement que l’on dit de niveau 2 – à savoir en modifiant fondamentalement les règles de fonctionnement du système – qu’il arrive à un endroit de non-retour que l’on nomme point de bascule. Peut-être sommes-nous encore trop éloignés de cette zone cruciale pour amorcer notre 180° ? Il nous faut sûrement poursuivre encore un temps nos tentatives de solutions qui donnent « toujours de la même chose ». Nous allons devoir vivre une ascension de catastrophe naturelles, climatiques, sociales, politiques, sanitaires et économiques pour arriver à ce fameux point. Jusqu’où ? Difficile de le dire, mais en persévérant, nous y arriverons sans aucun doute…

La théorie des systèmes nous adresse donc des messages d’espoir. Mais combien de générations sera-t-il nécessaire de sacrifier ? Combien d’espèces vivantes, d’écosystèmes, de territoires ? Ce qui est certain, c’est que la planète s’en sortira toujours. Lorsqu’arrivée à la fin de sa vie, elle se retournera, se souviendra-t-elle seulement que nous avons existés ? Nous ne serons pour elle qu’un petit virus éradiqué par une poussée de fièvre qui fut générée par le virus lui-même, puisque nous sommes à l’origine du réchauffement climatique. Un virus suicidaire en somme… Saurons-nous être davantage ? Aurons-nous le temps d’apprendre à développer cette nouvelle intelligence qui réunira l’ancestrale et le moderne ? Saurons-nous devenir les humains de demain, réconciliés avec leur environnement ? Arrivée à son crépuscule, notre planète pourra-t-elle être fière de ses enfants ? Et si nous nous en laissons le temps, peut-être pourrons-nous découvrir d’autres mondes. Mais nous ne partirons pas pour fuir notre mère exsangue, mais pour l’exploration. Un peu comme des adolescents qui quittent le foyer pour s’aventurer vers de nouveaux territoires et qui savent qu’ils laissent derrière eux une mère heureuse de les voir s’envoler… Mais j’entre là dans le territoire de la science-fiction…

Ce court article sur un très vaste sujet n’a pas vocation à donner des réponses, ce qui serait bien arrogant de ma part. Ce sont juste quelques réflexions construites au prisme de certains éléments de la théorie des systèmes que j’avais envie de partager. Elles valent ce qu’elles valent et ne se veulent pas une vérité en soi.

Je trouve toujours intéressant de constater que les systèmes vivants, du plus petit au plus vaste, fonctionnent selon des règles communes. Et si l’on y regarde de près, la majorité de ce que j’évoque en parlant du système Terre dans son ensemble peut faire lien avec des systèmes plus petits, comme des pays, des organisations, des familles… C’est donc une invitation à une réflexion systémique globale que je vous ai proposée par le moyen de cet article tout en évoquant un sujet de plus en plus prégnant et préoccupant pour beaucoup d’entre nous. Je vous laisse le soin de faire les liens qui vous sembleront intéressants pour vous et votre environnement. Et n’hésitez pas à me partager vos réflexions et commentaires sur le sujet.