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Merci pour ce feed-back !

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Par Emmanuelle Mallet-Chaminand – 

  • On fait peu de feedback (et il y a de bonnes raisons à cela).
  • Or, le feedback c’est du carburant; si on n’en met pas, on reste sur place.
  • Pour faire des feedback, il faut savoir en recevoir. Pour en recevoir, il faut savoir en faire.

 

Pourquoi faire un feedback à quelqu’un, est-ce si difficile?

Ce que nous appelons feedback la plupart du temps ressemble plutôt à   « comment critiquer un comportement sans que cela ne dégénère… » ou encore  « comment mettre les formes lorsque l’on a quelque chose de désagréable à dire à quelqu’un », ou enfin  «comment lui dire gentiment d’améliorer son travail, sans passer pour un hypocrite auprès des autres ».

Les recettes de Club Sandwich* n’y font rien, une fois que vous les avez utilisé deux fois, les collaborateurs ont compris que vous placiez vos critiques entre deux compliments… Alors, lorsque vous commencez à louer leur efforts ou leurs résultats, ils vous demandent de passer directement à la case critique, sans même écouter vos compliments. Le message que vous leur avez passé c’est que tout compliment n’est là que pour amener une critique. Indigestion.

De fil en aiguille il arrive que nous laissions de côté et le « Club Sandwich », et l’idée même de faire des feedback,  parce que tout cela nous semble trop artificiel, parce que nous sommes pressés, attendus sur les résultats,  et que finalement le feedback ça demande beaucoup d’efforts au regard d’un résultat incertain, et que ça ralentit plus qu’autre chose.

Et aussi parce que :

  • Nous nous sommes toujours dit que nous n’étions pas très forts pour mettre les formes;
  • De toute façon les collaborateurs savent quels sont les objectifs, nous leur avons donnés à la réunion du mois dernier;
  • Nous détestons la flatterie;
  • Nos collaborateurs sont des adultes et qu’ils savent très bien où ils en sont;
  • Si nous sommes trop positif, ils vont avoir tendance à lever le pied;
  • Si nous sommes trop critique, ils vont se démobiliser;
  • Nous n’aimons pas les conflits que cela va immanquablement provoquer;
  • Souvent une « attitude professionnelle» signifie mettre ses émotions de côté et ne pas montrer ce que l’on pense réellement. Ça complique l’exercice du feedback!

 

Ce que nous devons retenir c’est que plus nous faisons des feed-backs « club sandwich » et moins nos collaborateurs en tiennent compte. Et moins ils en tiennent compte et plus nous en faisons….STOP!

Toutes ces raisons justifient parfaitement de ne pas être l’aise avec le feedback,  si par feedback on entend « faire passer la pilule » hypocritement, …la pilule étant toujours amère.

Cette défection serait même plutôt signe de la haute valeur que nous mettons dans notre travail, dans notre volonté de bien faire les choses, et de parler vrai.

Alors comment faire lorsque surviennent les conflits, la démobilisation, les erreurs, et l’isolement? Comment communiquer, rattraper et maintenir les liens sans blesser, ni générer colère et frustration?

Nous pourrions essayer de faire le contraire!

  • arrêtons le plan en trois parties -compliment/ critique/ compliment.
  • arrêtons de nous mettre en position de supériorité;
  • arrêtons de dire des généralités pour éviter les conflits;
  • arrêtons de dire aux autres ce qu’ils doivent faire;
  • arrêtons d’être le seul à parler;
  • arrêtons de vouloir mettre les formes.

 

Ça marche, ça?

Oui! Ça s’appelle un (vrai) feedback.

Le feedback, en quoi ça consiste? 

« Feed » « Back », « nourrir en retour »…Et pourtant, c’est si inspirant!

Une définition

Le feedback, c’est un retour d’expérience sur une action, un comportement ou une parole qui nous permet de comprendre les effets qu’ils ont eu et ainsi pouvoir les améliorer,  les corriger, ou de les affiner par une nouvelle action, un nouveau comportement ou une nouvelle parole; et ainsi se rapprocher et atteindre notre objectif final.

Imaginons, un instant un professeur pendant qu’il donne son cours: il croise le regard de certains élèves, il observe que certains autres sont déconcentrés; lorsqu’il change de ton, des têtes se lèvent, il pose des questions et des élèves lèvent le doigt pour répondre, etc. Tout ce qu’il perçoit est une information pour ce professeur sur le degré d’attention, sur la compréhension, sur l’ambiance qui règne dans le groupe, sur la clarté de ses explications ou sur le désir d’interaction… Et il va se servir de toutes ces informations pour ajuster son écoute et son discours….

Imaginons maintenant un instant qu’aucune information ne circule entre les élèves et leur professeur. Que rien ne se passe lorsque le professeur observe, parle, interroge, change de ton etc. Ce professeur sera complètement handicapé: il ne pourra rien améliorer, ni rien changer à son cours; il va finir par abandonner à un moment ou à un autre, rongé par l’impuissance et l’ennui.

La théorie de la communication explique cela très bien: la communication est toujours circulaire; toute action génère une information qui en retour génère également une autre action etc.

Le feedback, ce retour d’information, c’est de la puissance, c’est du carburant. C’est ce qui nous permet de faire tourner le moteur, mais aussi d’entendre si nous sommes dans le bon rapport, où si c’est le moment de changer de vitesse.

Des effets

Dans l’entreprise, un feedback permet au manager de transmettre au collaborateurs ce qu’il attend et l’objectif qu’il leur donne;

En même temps il indique au collaborateur  à quel niveau il se trouve sur le chemin menant à l’objectif.

  • La première partie sert à rendre les choses explicites.
  • La seconde permet au collaborateur de se positionner sur la distance qu’il lui reste à parcourir. Elle lui permet également de pouvoir visualiser ce dont il aura besoin pour atteindre cet objectif.

Le feedback donne enfin de l’information au collaborateur sur ses propres ressources:  ce qui est validé; ce qui fonctionne; ce sur quoi il peut s’appuyer -de la même manière qu’un coach sportif dit à son champion qu’il doit s’appuyer sur son service et travailler son coup droit, pour gagner le jeu après l’avoir observé  sur le court-.

S’il n’y a rien sur quoi s’appuyer, la distance paraîtra trop grande à franchir.

Régulièrement, un « point route » sera nécessaire pour réévaluer la distance, valider les acquis, et pouvoir continuer d’avancer.

On est loin du Club Sandwich.

On avance vers une nourriture énergétique et écologique pour le collaborateur et le manager.

Alors comment s’y prendre?

Nous avons tous du mal à dire les choses comme il faut. Et peut-être serons-nous souvent maladroits, mais voici quelques moyens pour qu’au-delà des formulations, nos intentions soient bien perçues et que passe le carburant feedback:

Un feedback doit être UTILE

S’il s’agit de se défouler ou de se soulager ce n’est pas la peine, ce ne sera pas un feedback. Être « utile » signifie tout simplement que votre interlocuteur va pouvoir se servir de ce que vous lui direz pour avancer sur le chemin de son objectif.

Un feedback doit être HUMBLE

Vous montrez ainsi votre respect du travail de votre collaborateur; et vous acceptez d’avoir vos propres limites. En étant humble, vous vous autorisez aussi à être ouvert à de nouvelles informations (que vous pourrez choisir de prendre en compte, ou pas) .

Un feedback doit être IMMEDIAT

ou du moins dans un temps très court, pour que l’action, ou le comportement qui fait l’objet de votre feedback ne soit pas encore « classé »… La vengeance est un plat qui se mange froid, pas le feedback.

Cela permet une correction rapide et efficace. Cela empêche le collaborateur de s’enfoncer dans une situation qui deviendrait potentiellement grave si elle perdurait. Et vous cela vous empêche de ruminer et d’amplifier les problèmes.

S’il s’agit un retour positif, c’est pareil! Une louange qui arrive un mois après l’action aura perdu de sa puissance et de son efficacité.

Un feedback doit se faire EN PERSONNE

Pas question de faire un feedback par mail et encore moins par personne interposée! En économisant sur l’effort que représente le fait de faire un feedback, on empêche le retour d’information et on bloque le système.  C’est un peu mettre du diesel moins cher dans une voiture essence en espérant que ça va marcher. (ma métaphore ne tient pas face à l’actualité des prix du diesel, j’en cherche une autre)

Un feedback qui est une louange se fait en PUBLIC, un feedback qui est une critique se fait en PRIVÉ.

Les deux peuvent se suivre de très près, mais il ne s’agira pas d’un Club Sandwich.

Un feedback ne concerne pas la PERSONNALITÉ de l’interlocuteur.

Et si besoin, on peut lui rappeler à quel point on l’apprécie ou on la respecte. Cela concerne un comportement qu’il aura eu ou une action qu’il aura réalisée.

« tu as fait une présentation brillante, bravo, j’ai appris plein de choses! Passe donc me voir dans mon bureau dans 5 min »…. et en privé: « il y avait beaucoup de fautes d’orthographes dans ta présentation, c’est dommage car tu passes pour quelqu’un de moins bon que ce que tu n’es. Que faire pour corriger cela? ».

Mais, pour parvenir à tous cela, une chose est indispensable: la sincérité; rappelez vous du Club Sandwich: si les compliments ne sont là que pour entourer une critique, ils ne sont pas considérés  comme sincères par les collaborateurs.

De même que le sourire s’entend au téléphone, la sincérité peut s’entendre même si la forme est maladroite.

De la sincérité à la franchise

Pour faire très simple, la sincérité est tournée vers l’autre. Elle sous-entend une relation avec l’autre qui est pris en compte dans son expression; elle est attachée à la notion d’identité.

Alors que la franchise est une expression de soi-même, de ce que l’on pense, parfois un peu brutale attachée à la notion de liberté.

Nous craignons souvent en faisant des feedback d’être « trop franc », c’est-à-dire de parler sans ménagement, de blesser ou de mettre en colère notre interlocuteur.

Kim Scott, dans son livre « Radical Candor »** propose une autre manière de voir les choses.

S’il nous est parfois difficile de convaincre l’autre de notre sincérité, si celle-ci, trop prudente, commence à pencher vers une certaine hypocrisie ou obséquiosité  qui nous déplait, alors soyons radicalement franc et ayons la critique directe….

à une condition!

Soyons en même temps personnellement bienveillants et concernés.

Et c’est c’est équilibre, cette balance qui nous permet selon l’auteur, de faire des feedback constructifs et efficaces.

Si l’on s’en tient à la critique directe, on arrive sur le chemin de l’agression odieuse.
Si l’on s’en tient à la bienveillance individuelle et personnelle, on prend le chemin de la sur-empathie nocive (celle qui cause des dégâts irréversibles dans les résultats et dans l’équipe).

Si nous parvenons à être bienveillant avec notre interlocuteur tout en remettant directement en question ce qui nous soucie alors nous sommes sur le chemin du feedback.

C’est parfois très difficile et cela demande un peu d’entrainement au départ.

Voici un exemple que Kim Scott donne: un jour qu’elle se promenait avec son chiot qu’elle adorait et à qui elle passait tous les caprices, elle arriva à un carrefour où elle eut toutes les peines du monde à le faire assoir pour attendre le feu rouge. Le jeune chien se jetait sur la chaussée , bondissait, revenait étranglé par la laisse et Kim manquait d’être déséquilibrée à chacune de ses frasques.  Mais elle continuait à l’embrasser et à lui faire des discours pour qu’il s’assoie gentiment…..sans résultat bien-sûr.

Un homme arriva à sa hauteur et lui dit: « Ah voilà un chiot qui est adoré par sa maîtresse, ça fait plaisir à voir! Mais si vous continuez à lui laisser faire n’importe quoi au carrefour, il mourra, c’est sûr! ».

La critique est directe. La bienveillance est totale.

Une culture du feedback

En entreprise, si nous parvenons à mettre en place ce type de communication, cela implique deux choses primordiales;

  • que l’on demande et que l’on autorise les autres à avoir le même type de communication, car c’est un sport d’équipe auquel il faut s’entrainer!
  • que nous exigions des autres qu’ils nous fassent des feedback également pour que nous puissions progresser.

Cela suppose que nous sachions recevoir des feedback. Et plus nous en recevrons, meilleurs seront les nôtres, car nous aurons vraiment « goûté » ce qui nous aura permis d’avancer, ce qui nous aura finalement empêché; ce qui  était acceptable et ce qui ne l’était pas; ce qui aura été un peu désagréable mais fort utile; ce qui aura changé notre manière de voir les choses, que nous n’oublierons pas, et dont nous nous re-servirons.

À ce moment là, on pourra parler de « culture du feedback » qui permet à tout le monde de parler en réunion,  d’éviter les jeux de pouvoir destructeurs,  qui  permet d’avancer réellement , et de ne pas confondre bienveillance et politiquement correct.

Le changement de comportement que cela implique?

Par exemple que lorsqu’un personne en réunion « dépasse les limites » et se comporte de manière inacceptable,  on ne lui demande plus de « présenter ses excuses » ou de « retirer ce qu’elle a dit » ( ce qui est de toute façon faux même si elle le fait)  , mais au contraire de rentrer dans la dimension bienveillante en même temps.

Utopie? j’attends vos feedback!

Notes:

  • La technique du Sandwich: commencer par un élément positif + poursuivre par un point d’amélioration + terminer sur une note positive. Prévoir 3 points positifs pour un point négatif.

** »Radical Candor, Be a Kickass Boss Without Losing Your Humanity » Kim Scott – March 14th 2017 by St. Martin’s PressISBN : 1250103509 (ISBN13: 9781250103505)