Par Frédéric Demarquet – L’une des premières questions que se pose un accompagnant systémicien lorsqu’il reçoit un patient ou client est « quel est le problème ? ». La question sous-entend : « quel(s) problème(s) empêche(nt) cette personne d’atteindre ce qu’elle souhaite? ». Cette question devrait s’enrichir de « comment le problème se construit-il ? ». En effet, lorsqu’on analyse de près toute situation qui implique un problème humain, on s’aperçoit que chacun a une manière bien particulière et singulière de construire son problème. Le praticien doit alors comprendre cette logique de construction afin de pouvoir ensuite co-opérer une déconstruction efficace.
Lorsque la question est posée de manière directe au client, il est assez rare que celui-ci propose une réponse très précise. Il n’y a là aucun refus de collaboration de sa part. Il dit au contraire sa difficulté à exprimer le problème de manière plus circonscrite. Entendre cette difficulté revient alors à reconnaître la collaboration du client qui exprime ainsi son besoin d’être aidé et donc sa raison d’être face au praticien. Les réponses prennent bien souvent une forme générique du type « j’ai un problème de confiance », « je ne suis pas assez sérieux pour réussir », « je suis sujet à de la procrastination trop fréquemment», « je n’arrive pas à monter mon projet », « je ne sais pas gérer mon équipe »… Le praticien va alors devoir aider son client à creuser, de manière pragmatique, ce qui fait que le problème existe.
Mais attention de ne pas se tromper, la question sera bien « comment le problème se construit-il ? » et non « pourquoi le problème existe-t-il ? » qui ferait prendre le risque d’uniquement explorer la vision du monde du client. A titre d’exemple, si un praticien demande à une cliente pourquoi elle n’a pas confiance en elle, elle va peut-être lui expliquer que sa mère lui a toujours dit qu’elle ne réussirait à rien dans la vie. Cette manière d’analyser l’origine de son problème n’est pas sans intérêt, mais n’offrira guère de possibilité d’intervention pour le praticien systémicien. Ce qu’il va devoir explorer avec sa cliente, c’est la manière singulière dont elle use pour construire son problème aujourd’hui. Le postulat de résolution étant que chaque être humain construit lui-même ses problèmes, avec sa propre originalité et que comprendre comment il s’y prend va permettre au praticien d’intervenir au bon endroit et de la bonne manière pour l’aider à trouver le chemin de la déconstruction du problème et donc de la construction d’une solution adaptée à sa demande.
Les problèmes se construisent généralement à partir de séquençages précis et répétitifs. Ces séquençages sont bien souvent inconscients et le praticien va devoir les éclairer.
Prenons l’exemple de Stéphane qui se plaint de ne pas être respecté par son équipe. Lorsque le praticien explore le problème, il découvre les séquences suivantes : je ne suis pas respecté – mes collaborateurs ne prennent pas en compte mes consignes – je donne les consignes sans en souligner l’importance – J’ai peur d’être trop autoritaire – si je suis trop autoritaire, ils ne vont pas m’apprécier – je fais tout pour être apprécié d’eux – j’ai besoin d’être apprécié – lorsque je suis face à eux, je suis plus « copain » que « manager » – pour cela, je me sur-adapte à ce que je crois être leurs attentes – je ne veux jamais les contrarier – j’ai peur de générer des blocages – j’évite tout risque d’en arriver là – je m’empêche de dire ce que je devrais dire dans beaucoup de situations.
Dans ce séquençage, notons tout d’abord que les deux premières séquences entre dans la catégorie des externalisations du problème. Le problème n’est pas Stéphane, mais son équipe. Ceci est assez fréquent et repose sur des mécanismes de défense de type « projection ». Lorsque le praticien rencontre cela, il convient de permettre à son client d’internaliser le problème afin qu’il puisse avoir la main sur sa résolution. Derrière ce mouvement, se trouve le principe de co-influences comportementales. Un changement de comportement de Stéphane entraînera un changement de comportement de l’équipe. Si l’équipe était la plaignante, nous aurions pu aborder le problème dans l’autre sens. Nous trouvons ensuite des séquences qui oscillent entre différentes catégories : vision du monde / croyances, comportements, ressentis. La dernière séquence offre une possibilité intéressante en termes de porte d’entrée. En effet, elle nous dit un comportement d’évitement et elle est suffisamment concrète pour permettre une mise en action possible et un premier changement. Il conviendra bien sûr de le valider avec Stéphane qui passe donc de « mon équipe ne me respecte pas » à « je m’empêche de dire ce que je devrais dire dans beaucoup de situations », ce qui offre à Stéphane une possibilité d’avoir la main sur son évolution. En soit, la mise en lumière du séquençage est résolutoire car elle ouvre des possibilités là où la première séquence semblait très peu propice à une intervention réussie. Le praticien pourra alors choisir différentes approches de résolutions et quelle que soit l’approche, il aura à l’esprit de générer un premier petit changement à ce niveau du séquençage et observera avec Stéphane l’impact aux autres niveaux.
Imaginons maintenant Farida qui se plaint de son fils qui ne lui obéit jamais. Le séquençage se construit ainsi : mon fils est insupportable – il ne fait jamais ce que je lui demande – pourtant il dit oui mais n’en fait qu’à sa tête – je suis toujours obligée de m’énerver – et je m’en veux car j’aimerais avoir une relation plus paisible avec lui – je ne sais pas gérer mon émotion – si son père me secondait, ce serait plus facile – je me sens seule à éduquer nos enfants – je suis débordée – je voudrais consacrer plus de temps à mes enfants et à leur éducation – mon mari me dit que je devrais arrêter provisoirement de travailler – j’en ai envie, mais j’ai peur de m’ennuyer – je n’arrive pas à choisir ce que je dois faire, ça me stress et je m’énerve du coup très facilement. On passe ici de mon fils est insupportable (externalisation du problème) à un problème de choix et donc à un dilemme. A nouveau, il conviendra de valider que le niveau est le bon pour Farida. En effet, d’autres niveaux ont été mis à jour et c’est bien à Farida de décider lequel lui semble le plus pertinent.
La mise à jour du séquençage dans la construction du problème est une aide importante pour les accompagnants de la personne et, au-delà de valider le bon niveau sur lequel agir, permet à l’accompagné par une descente en « entonnoir » dans la construction de son problème, d’opérer un début de déconstruction. Bien souvent, ce cheminement qui s’obtient par le moyen de questions spécifiques posées par l’accompagnant, apporte un soulagement important à l’accompagné qui visualise une porte d’entrée précise et possible pour emprunter le chemin de la résolution. De plus, l’accompagnant recueille à l’occasion de cette exploration de nombreux éléments qui lui seront très utiles pour construire son intervention au plus près des besoins de son accompagné, de sa vision du monde, de ses valeurs et de l’écologie de lui-même et du système relationnel dans lequel il s’inscrit.