Par Frédéric Demarquet – Que les choses soient claires, rien ne sert d’arrêter de faire toujours de la même chose si cette même chose donne de bons résultats. Par contre, si lorsque je souhaite régler un problème ou atteindre un objectif, ce que je fais ne fonctionne pas, alors à quoi bon continuer ? Ceci semble plutôt logique et pourtant, lorsqu’on regarde les choses de plus près, c’est cette même logique qui nous joue des tours et nous fout dans le mur régulièrement, voire en rafale.
Pour mieux éclairer mes propos, analysons quelques exemples. Imaginons tout d’abord Damien, jeune manager dans un service informatique. Son équipe fonctionne plutôt bien, à l’exception de Cédric, le plus jeune de l’équipe, qui travaille très lentement et fait prendre du retard au reste des collègues qui s’en plaignent. Damien le lui a reproché plusieurs fois, il l’a aidé dans de nombreuses tâches, il lui a montré comment faire et pourtant, rien n’a changé. Il continue néanmoins de faire ce qu’il a tenté jusque-là, bien qu’il n’y ait pas de résultat.
Imaginons maintenant Christelle qui élève seule sa fille de quinze ans. Celle-ci travaille de moins en moins à l’école et ses résultats s’écroulent. Elle n’arrête pas de râler pour lui faire savoir qu’elle n’est pas contente et qu’à son âge elle devrait être plus autonome pour gérer son travail, elle la punit régulièrement, elle contrôle ses devoirs, mais rien n’y fait, les résultats de sa fille continuent de chuter.
Pourtant, tout comme Damien, elle continue de faire de la même chose. Et pourquoi ? Parce que c’est ce qui lui parait le plus logique. Idem pour Damien, quoi de plus logique que de faire des reproches, râler, aider, montrer, punir ou encore contrôler lorsque les choses ne sont pas faites ? C’est bien ainsi qu’on a appris à élever ses enfants ou encore à manager. Donc, même si ça ne marche pas, on continue de faire de la même chose. Et c’est là que ça se complique.
Nous avons tendance à faire toujours de la même chose car nous portons un regard linéaire et intrapsychique sur les situations : chacun voit un responsable qui crée une difficulté parce qu’il a un problème. Par exemple Cédric est trop lent et la fille de Christelle est paresseuse. Il faut donc faire changer l’autre qui est le problème. Pourtant, dans ces situations, se sont bien Damien et Christelle qui ont un problème dans le sens o* se sont bien eux les plaignants.
Mais ils voient le problème à l’extérieur. Le problème vient alors de l’autre. Ils voient l’autre et son comportement comme le problème. Aussi, il semble bien logique d’employer les moyens qu’ils emploient et de les employer à répétition, créant ainsi des escalades comportementales symétriques qui sclérosent le problème. A chaque tentative de résolution du problème, celui-ci va être de plus en plus présent. La solution choisit devient le problème. Ce qui veut dire que l’influence exercée par le plaignant va dans le sens du renforcement du problème et non de sa résolution.
En effet, la logique de ces situations est bien circulaire et non linéaire. Quel que soit le point de naissance de la situation, les protagonistes sont aujourd’hui pris dans des boucles d’interaction qui renforcent le problème. Et, par nature, le plaignant est davantage motivé par la résolution, alors, Damien et Christelle, s’ils souhaitent résoudre le problème, vont devoir abandonner leur logique qui est ici inopérante, voir contre-productive.
Pour mieux comprendre ce qui se joue, nous allons devoir regarder ces situations de plus près. Lorsque Damien tente de résoudre le problème avec Cédric, il lui demande de changer. Quel que soit ce qu’il tente, il lui dit clairement : « arrête d’être aussi lent ! ». Et ce message entretient clairement le problème puisque rien ne change. Imaginons, et ce n’est qu’un postulat, que la lenteur soit pour Cédric le moyen d’avoir confiance dans ce qu’il fait et donc de bien faire. Il va clairement entendre « ma manière de faire n’est pas bonne ! » et il va perdre encore davantage confiance et donc… faire encore plus lentement.
La boucle est bouclée pour entretenir le problème. Damien pourrait alors essayer autre chose, comme de valoriser Cédric sur les points positifs, ce qui pourrait entrainer un gain de confiance et donc la possibilité d’accélérer progressivement. Mais il va lui falloir au préalable accepter une autre logique que celle à laquelle il est habitué pour arrêter de faire toujours de la même chose.
Imaginons à nouveau Christelle et sa fille. Christelle dit clairement à sa fille « Sois autonome pour avoir de meilleurs résultats ! » et en même temps, toutes ses actions lui disent « tu ne peux pas faire sans que je sois sur ton dos ! ». Sa fille se retrouve alors piégée entre ces deux messages et risque d’être de plus en plus en difficulté. Dans ce cas, il sera nécessaire à Christelle d’aligner ses messages afin d’aider sa fille à développer son autonomie et ses responsabilités vis-à-vis d’elle-même. Ainsi, elle arrêtera et permettra à sa fille d’arrêter de faire toujours de la même chose.
On peut également faire toujours de la même chose lorsqu’on traite un problème avec soi-même. Par exemple, si j’ai peur de parler dans des groupes et que j’évite systématiquement toutes les situations qui risquent de m’exposer à ma peur, je m’envoie un message à moi-même du type « tu n’en seras jamais capable ! », ce qui ne manquera pas d’entretenir, voire d’envenimer le problème. Si je ne me sens pas heureux et que je me dis chaque jour que je dois l’être, je vais non seulement ne pas l’être davantage mais en plus culpabiliser de ne pas en être capable et donc me sentir encore moins heureux.
Reprenons quelques exemples avec deux protagonistes : si votre mari ne s’occupe pas assez de vous et que pour régler le problème vous êtes toujours sur son dos, il risque fort d’être de moins en moins à la maison et de s’occuper encore moins de vous. Vous lui direz alors que vous êtes sur son dos car il ne s’occupe pas de vous et lui vous répondra qu’il ne s’occupe pas de vous car vous êtes toujours sur son dos ! Votre chef ne vous augmente pas depuis plusieurs années et vous faites en sorte de travailler de plus en plus en espérant qu’il s’en aperçoive et vous augmente. Pourquoi voulez-vous qu’il change quoi que ce soit ?
Lorsque vous vous pencherez sur vos bonnes résolutions 2017, je vous invite à vous demander ce que vous voulez vraiment voir changer et à regarder de près les moyens que vous allez employer. Allez-vous faire toujours de la même chose, ce qui reviendrait à ne rien changer, ou allez-vous trouver une logique différente qui entraînera un réel changement ? Ceci étant dit, on peut prendre un réel plaisir à ne pas changer ce que l’on voudrait pourtant changer. Faut-il réellement régler le problème avec votre compagne, votre compagnon, vos enfants, vos parents, vos impayés, votre chef, votre équipe, votre procrastination, vos peurs, vos colères … ?
Rien n’est moins sûr car ne pas changer, c’est aussi maintenir un certain équilibre, ne serait-ce que de valider qu’on avait bien raison. Votre mari est insupportable et vérifier jour après jour que vous avez raison peut être agréable. Etes-vous prête à admettre qu’il puisse être différent ? Ce n’est pas si simple d’abandonner ses idées sur telle ou telle chose, telle ou telle personne. Idem avec votre femme qui est une emmerdeuse, vos enfants qui sont irresponsables, vos parents qui ont été de très mauvais parents, votre chef qui est un imbécile ou vous-même qui ne pourrez jamais changer !
Peut-être les bonnes résolutions sont-elles faites uniquement pour ne rien changer et pour le plaisir de cet équilibre que l’on a le choix de maintenir d’année en année ? Dans ce cas, je crois que je vais faire le choix de ne rien changer cette année, pour changer. Comme les autres années, j’ai fait le choix de changer et que ça n’a rien changé, alors ça vaut le coup d’essayer. Au moins, je ne fais pas toujours de la même chose et qui sait, peut-être ça pourrait changer quelque-chose…