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Du principe de précaution au risque zéro: une utopie contagieuse à fort potentiel de risques

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Par Frédéric Demarquet – En 1979, Hans Jonas pose le principe de responsabilité dans le souci de sensibiliser les êtres humains et particulièrement les décideurs sur les dangers du développement de la puissance technologique qui pose des questions éthiques. Il argumente alors que « les hommes doivent exiger le risque zéro de conduire à la destruction des conditions d’une vie authentiquement humaine sur Terre ». Il cherche ainsi à protéger la Terre et ses habitants d’une possible dérive vers une condition d’objets subissant moults expérimentations remettant en cause leur intégrité, leur santé et leurs équilibres. Ce principe semble aujourd’hui criant d’actualité tant ses appels visaient la pérennité d’une vie non destructrice pour l’homme et les espèces vivantes en général. Pourtant, Hans Jonas n’appelait nullement à l’abstention, à l’immobilisme ou à la panique, mais davantage à une réflexion éthique et responsabilisante. Il s’affichait donc comme un précurseur nuancé et intégratif développant une vision de la co-existence possible et harmonieuse des nouvelles technologies et des équilibres du vivant, dès lors que les êtres humains en usaient sans mettre en péril une vie « authentiquement humaine ».

Paul Berg, en 1975, appelle, dans le cadre de la conférence d’Asilomar, à un moratoire sur les manipulations génétiques afin d’éviter la dispersion dans l’environnement de bactéries modifiées. Le principe de précaution fut ainsi établi et apportait une réponse aux scientifiques qui s’interrogeaient sur le bienfondé de la poursuite de leurs recherches. On peut donc avancer que le principe de précaution visait à libérer la recherche scientifique en écartant certaines dérives.

A partir de 1992, ce principe fut appliqué à l’environnement dans le cadre de la déclaration de Rio qui stipulait que l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas conduire à reporter l’adoption de mesures visant à prévenir la dégradation de l’environnement. Il va ensuite faire l’objet de nombreuses reprises par le biais de lois et de chartes dans différents pays dont la France et dans le cadre de l’Europe. Il s’applique alors à de plusieurs domaines comme la recherche, la santé, les technologies, l’environnement, l’économie… et s’apparente bien à un principe d’action et non d’inaction. Il vise en effet soit à lever le doute, soit à le confirmer et de fait à réguler les programmes engagés. 

A l’orée 2024, il apparait que le principe de précaution n’a pas rempli toutes ses promesses dans bien des cas et que, dans le même temps, il tend par une généralisation à la vie quotidienne professionnelle, personnelle et sociale, à complexifier et bloquer de nombreuses actions, jusqu’à avoir un impact réel sur la santé psychique, émotionnelle et physique des citoyens. Quand le principe de précaution se généralise et devient un moyen de contrôle tous azimuts, les dommages collatéraux sont nombreux et se matérialisent sous forme de mal-être, de stress, de décompensations et de comportements dangereux au niveau des personnes et des collectifs. Les organisations en font aussi très largement les frais et le prix qu’elles paient est parfois tellement élevé que leurs équilibres sont remis en question, parfois jusqu’à leur disparition.

Je vous propose dans la suite de cet article, par le biais d’exemples concrets et d’une grille de lecture systémique, de débusquer et d’analyser certain des dommages actuels qui découlent d’un usage abusif du principe de précaution dans des domaines variés. Il sera intéressant d’observer également les motivations réelles de la généralisation du principe de précaution qui, bien souvent, est guidée par des buts non affichés dans la communication. On retrouve fréquemment, entre autres, des buts de contrôle, de gains financiers ou encore de sélection par l’éviction. Ceux-ci n’étant pas ouvertement énoncés, ils ne peuvent qu’émaner de postulats systémiques, bien que parfois très visibles et semi-annoncés. De fait, nous ne les mentionneront pas comme assurément vrai, afin de ne pas être taxés d’appartenance à une quelconque théorie du complot ou encore en proie à une forme de paranoïa sociétale.

Observons un premier exemple qui nous vient du monde de la santé. Il semble que bien souvent le principe de précaution pousse à une consommation accrue de médicaments dans certains cas. Prenons l’exemple des antibiotiques qui ont progressivement été détournés de leur fonction originelle et qui sont régulièrement prescrit aujourd’hui pour des infections saisonnières virales bien que présentant peu de risques d’évolution bactérienne. Il apparait pourtant que la prise excessive de ce type de molécule crée des dommages collatéraux comme une baisse de l’immunité naturelle, une perte d’efficacité du médicament ou encore des réactions allergiques. Quelle est alors la part réelle du bénéfice / risque ? Y aurait-il des enjeux économiques motivant cette évolution de prescription ? Il est intéressant de constater les effets systémiques de la peur sur ce sujet : les patients ont peur pour leur santé et pour celle de leurs enfants, les médecins ont peur pour leurs patients mais aussi de leurs réactions si une maladie opportune se greffe à l’infection première. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’impact de la tendance procédurière des américains lorsqu’il s’agit de leur santé. La volonté du risque zéro devient telle que le moindre imprévu devient source de conflits par la voie pénale. Pourtant, la médecine n’est pas une science exacte et par conséquent, le risque zéro est définitivement impossible à obtenir. Aussi, voit-on les prescriptions médicales augmenter par principe de précaution ou, à l’opposé, des refus d’intervention par peur de représailles. Ceci entrant en conflit direct avec le serment d’Hippocrate. Les médecins se retrouvent alors piégés dans un dilemme difficilement soluble : soigner les patients ou se protéger des représailles en cas d’échec du traitement. Ceci s’apparente fortement à ce que l’on nomme en systémique une double-contrainte : quoi que tu fasses, tu es perdant. Les dommages sur le corps médical sont certains et peut-être même sur l’avenir de la médecine.

Au fil de l’évolution de cet exemple, nous voyons que la prise d’antibiotique était un prétexte pour l’introduction du sujet et que la tendance peut se généraliser à moults actes médicaux de prescriptions ou d’interventions. La tentation du risque zéro et le principe de précaution alors adopté par l’ensemble des parties pour des motivations différentes risque fort d’aboutir à l’inverse de ce qui est recherché, à savoir un risque important en termes de santé publique. N’est-ce pas déjà ce qui se produit actuellement ? Sans généraliser bien sûr, de nombreux témoignages à la fois du corps médical et de patients abondent en tout cas dans ce sens. Les seuls gagnants du risque zéro dans ce contexte seraient alors les fabricants et distributeurs de médicaments, ainsi que les cabinets d’avocats.

Comme transition, je vous propose maintenant un exemple qui touche à la fois la santé publique et de nombreuses entreprises dans le domaine de la restauration, de l’alimentaire en général, mais également d’autre secteurs d’activité qui doivent nourrir leurs usagers comme les hôpitaux ou les Ehpad. Prenons ces derniers. Il y a encore quelques années, ils disposaient de cuisines et de personnel qui confectionnaient des repas de qualité pour les résidents. Mais le risque zéro et le principe de précaution sont passés par là : les normes en termes d’hygiène sont devenues telles que ces établissements n’ont pu s’y adapter et ont dû renoncer à ces services qui ont été externalisés dans des laboratoires. Les repas se sont standardisés avec bien souvent une qualité gustative moindre. L’une des conséquences est la démotivation à s’alimenter pour de nombreuses personnes âgées qui souffrent déjà bien souvent d’une perte d’appétit. Sous prétexte de les préserver, on obtient alors l’effet inverse par une dénutrition de plus en plus présente dans les Ehpad. Encore une fois, quid du bénéfice / risque ? Les états et l’Europe peuvent apporter la preuve qu’ils ont fait leur travail en termes de risque sanitaires. Ce qui représente de gros enjeux politiques et de communication. Certains gros laboratoires alimentaires tirent largement leur épingle du jeu en remportant des marchés juteux. Et en bout de chaînes, nos séniors refusent de plus en plus fréquemment de se nourrir avec les conséquences que cela peut entraîner sur le plan physique et psychique. Quand la solution devient le problème (grille de lecture chère à la systémique issue du modèle Palo Alto)…

Dans la restauration de ville, nous ne comptons plus les restaurants qui finissent par baisser le rideau tant l’adaptation aux normes d’hygiène devient un parcours du combattant insoluble. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Bien sûr, certaines règles d’hygiène sont à respecter et sans aucun doute quelques restaurateurs étaient répréhensibles sur ce sujet. L’un des pièges systémiques que l’on retrouve derrière ces exemples est celui de la binarité ou de l’ultrasolution. Pour éviter « pas d’hygiène » nous basculons vers « tout hygiène ». Bien sûr, le risque zéro porte toujours en direction de ces extrêmes et c’est bien là le problème majeur. Le risque zéro est en fait fort risqué pour les équilibres humains. A trop s’en rapprocher, on tend vers des équilibres dysfonctionnels qui, non seulement ne permettent pas d’atteindre les résultats, mais qui de plus créent de nombreux dommages individuels, collectifs et sociétaux.

Regardons maintenant d’autres exemples organisationnels. Les normes en tout genre envahissent les entreprises dans bien des domaines. Je pense à cette équipe dans le domaine de l’assurance qui s’est vue imposer des systèmes d’évaluation de ses résultats tellement précis et reposant sur un tel nombre de facteurs que la spontanéité des collaborateurs s’est effondrée, ainsi que la satisfaction des clients. La motivation première était d’éviter les risques de dérapages et d’augmenter la qualité du service et c’est exactement l’inverse qui s’est produit. On retrouve les mêmes dynamiques dans les services après-vente en ligne. Plus aucune place n’est laissée à l’improvisation et les pauvres télétravailleurs se trouvent relégués au statut de quasi machines programmées à choisir les bonnes réponses dans un panel très étroit. Heureusement, de nombreuses entreprises commencent à abandonner ces méthodes au profit de davantage d’autonomie. Assumant ainsi une part de risques, elles en prennent en fait beaucoup moins. Les services qualité, sécurité et environnement sont particulièrement impactés par le principe de précaution et le risque zéro et se retrouvent bien souvent dans des situations kafkaïennes insolubles. Derrière l’ensemble de ces initiatives se cache généralement une volonté de contrôle de plus en plus présente. C’est sûrement l’un des moteurs des lourdeurs administratives dont tout un chacun se plaint et pour lesquelles chaque promesse d’allégement entraine encore plus de lourdeur. Et pourtant, la systémique nous dit que c’est précisément le contrôle qui entraîne des risques de dérapages dans les systèmes vivants. En effet, chaque élément d’un système sur lequel on exerce un trop fort contrôle va, à plus ou moins long terme, réagir par des actions de contournement, de libération, voir d’effractions à des règles trop rigides motivées par le risque zéro. On peut observer ces phénomènes dans le domaine routier. Peu de conducteurs respectent des vitesses excessivement basses. Le 30 km/heure généralisé dans certaines villes est un échec. Lorsqu’il était réservé à des zones particulièrement dangereuses, la grande majorité le respectait. Aujourd’hui, chacun suit le rythme collectif et force est de constater qu’il est plus rapide. Idem pour les stops / ralentisseurs à répétition. On pourrait presque dire que trop c’est trop. Certains conducteurs m’ont confié qu’ils finissent par ralentir machinalement en oubliant de regarder si une voiture arrive et risque alors l’accident. Une fois encore, la solution peut devenir le problème.

Il est de plus intéressant de constater que plus de règles restrictives ou directives sont imposées et plus les individus perdent leurs facultés de responsabilité et d’autonomie. Un principe de précaution excessif qui frise l’utopie du risque zéro entraîne fatalement par excès de contrôle une position de « moutons » perdant le sens même des actions ou de rebelles face aux règles. C’est comme si on demandait aux citoyens d’un pays ou aux collaborateurs dans le cadre de l’entreprise de devenir mature tout en les empêchant de l’être. Voilà une nouvelle double contrainte bien présente dans la société contemporaine.

Je vais ici reprendre une métaphore souvent utilisée : lorsqu’un papillon cherche à s’extraire de sa chrysalide, si, pour éviter le risque d’échec de sa part et donc sa mort, on lui vient en aide, on le tue à coup sûr car il n’aura pas eu l’occasion de muscler ses ailes pour son premier vol. Quand le risque zéro entraîne le risque. Dans le domaine de l’éducation, si on sécurise trop un enfant pour ne pas prendre de risque, il ne développera pas ses capacités d’autonomie et se retrouvera ou en état de dépendance ou en danger. Il en va de même avec les citoyens adultes surprotégés. Les gouvernants souhaitent des comportements « adultes » tout en infantilisant. Chacun est alors pris dans un paradoxe sclérosant.  

Il existe sûrement de nombreuses ambiguïtés dans la position des uns et des autres. Et je n’avance pas ceci dans un esprit militant, mais simplement parce que l’ambiguïté fait partie intégrante des comportements humains et qu’il est donc bien normal de la croiser. Par exemple, serait-il réellement souhaitable pour un état que chacun accède à la maturité ? N’est-il pas parfois intéressant que les citoyens suivent sans trop se poser de questions ? On connait les bénéfices historiques que certains en ont retirés. Et pour bon nombre de citoyens, accéder à la maturité reviendrait à ne plus râler sans cesse contre l’état. N’est-ce pas alors perdre un bénéfice attractif ? Un parent qui rend son enfant autonome rapidement prend le risque de se sentir moins utile. Ce n’est pas si facile à accepter. De même que l’enfant qui devient adulte risque de perdre une certaine part d’attention. En a-t-il tellement envie ? On remarque alors que le bénéfice / risque peut-être vu de bien des manières différentes et que la question ne peut pas être tranchée définitivement pour tous les sujets et tous les contextes de la même manière. Chaque situation recèle sa dose de complexité.

Une autre ambiguïté apparait souvent dans les attentes des citoyens. En effet, une grande majorité d’entre eux semble aujourd’hui vouloir obtenir le risque zéro dans bien des domaines. Un tel veut bien s’engager dans un achat mais en étant absolument sûr qu’il comblera tous ses désirs. Tel autre ne supporte pas l’idée même que son prestataire puisse tomber malade et faire une pause. Celui-ci s’emporte car le climat fait des siennes et saccage son jardin. Ce collaborateur n’accorde aucun droit à l’erreur à son manager (et vice-versa). L’Etat devrait tout nous apporter, il devrait nous sécuriser en permanence et contre tout, tout prévoir… Alors finalement, l’Etat ne ferait-il que donner à chacun ce qu’il attend ? Serions-nous co-responsables des comportements que nous rejetons ? La co-responsabilité ou les co-influences est un autre point sur lequel la systémique met l’accent. Ce n’est pas l’un ou l’autre qui est responsable, mais ce qui se passe entre l’un et l’autre, dans une circularité constante. Mais il est bien difficile de prendre sa propre part de responsabilité, surtout quand elle se joue inconsciemment.  Il faudrait tout compte fait le risque zéro sans les contraintes… Une illusion de risque zéro en somme… De l’utopie dans l’utopie…

Ceci entraine une nouvelle tendance qui se développe de manière exponentielle depuis quelques années : apporter la preuve. Chacun doit pouvoir apporter la preuve que ce qu’il a fait répond à un cahier des charges bien précis, au top des process. Ce qui entraîne évidemment des excès de prévisibilité (celle-ci étant modestement le contrôle de l’avenir). Nous devrions donc tout prévoir, tout tracer, tout archiver, pour prouver que nous avons fait exactement ce qu’il fallait quand il le fallait et que si ça n’a pas marché, ce n’est pas du tout notre faute. Et si ça marche bien, voire mieux et que nous n’avons pas respecté le process, nous nous ferons taper sur les doigts, voire éjecter du système…  Un exemple flagrant est celui de la réforme de la formation continue. Les process et les traçages sont tellement complexes, coûteux et chronophages qu’une grande partie des petits organismes de formation, parfois très qualitatifs, ont renoncé (c’est comme les restaurants et la multiplication des règles d’hygiène vus précédemment). On peut du reste se demander si la volonté n’était pas simplement d’élaguer un peu… mais je vais me faire taxer de complotiste… La majorité des organismes de formation reconnaissent aujourd’hui que le risque d’acheter une formation de moindre qualité n’est pas plus faible qu’avant et qu’en revanche, beaucoup de stagiaires s’inscrivent à des formations par défaut car ils ne peuvent plus accéder au panel qui leur était proposé initialement. Le risque n’est donc pas écarté mais les contraintes se sont multipliées pour les organismes de formation comme pour les stagiaires. Le seul risque réellement écarté est celui de tomber sur un organisme qui n’a pas les moyens de répondre au cahier des charges de la réforme en termes de ressources financières et humaines. On retrouve ce type de situation dans toutes les démarches qui font appel à des budgets publiques. Les process européens sont particulièrement créatifs en la matière et font reculer de nombreux postulants tout en créant moult remous dans de nombreuses organisations jusque parmi les plus importantes. De plus, le temps passé pour apporter la preuve est tel que le temps alloué au métier lui-même se restreint drastiquement. Ceci engendre immanquablement une baisse de la qualité. Toute l’attention se porte sur la preuve que l’on fait bien ce que l’on ne peut plus bien faire… Quelque-chose semble nous avoir échappé en route…

Un autre exemple nous vient aujourd’hui de nos producteurs agricoles et éleveurs. Et ceci permet de boucler avec la déclaration de Rio en 1992. Les normes deviennent tellement contraignantes, qu’ils ne peuvent plus y faire face. Toute une filière s’écroule au bénéfice de l’industrialisation à l’international qui créent finalement beaucoup plus de ravages écologiques que nos agriculteurs locaux. Le principe de précaution pour l’environnement engendre alors plus de dégâts que de protection, tout en sacrifiant un pan entier de nos travailleurs locaux.

Dans de nombreux exemples cités, on remarque un autre impact important du principe de précaution excessif :  les grands perdants sont les petites entreprises qui ne peuvent faire face à tant d’exigences et qui progressivement, laissent la place à des structures de plus en plus grandes qui voient ainsi leurs parts de marché exploser. Les entreprises gloutonnes mangent à tout va et profitent largement de cette tendance qui est une véritable aubaine. Ce faisant, nous avançons de plus en plus vers une standardisation et un pouvoir financier centralisé qui laissent pointer de nouveaux risques sociétaux. L’histoire nous a souvent démontré que quand le pouvoir est entre les mains de quelques-uns, le contrôle excessif qui en découle bascule généralement vers une perte de contrôle à d’autres niveaux. Ceci entraîne de réels risques comportementaux des géants qui ont la main libre et pas toujours la déontologie et l’éthique humaine pour accompagner leurs actions. Quand le contrôle perd le contrôle… Nous nous éloignons alors largement d’une vie « authentiquement humaine » telle que la défendait Hans Jonas.

Le principe de précaution généralisé, poussé à l’extrême et flirtant avec le risque zéro peut donc entrainer de nombreux dommages collatéraux, comme le contrôle excessif, des blocages, des retraits, des disqualifications, une standardisation, une infantilisation et bien sûr du stress et du mal-être, voire des décompensations violentes dans certains cas et finalement une perte de contrôle. Il aboutit souvent alors à l’inverse de ce qui est recherché, ajoutant le risque que l’on souhaite éviter aux dommages collatéraux. Il n’existe en effet pas de risque zéro pour les espèces vivantes dont nous faisons partie. Le rechercher constamment est une utopie qui pourrait friser la dystopie.  

En revanche, tout système vivant est pourvu de fortes capacités de régulation qui, libérées du contrôle, peuvent apporter de belles garanties de se rapprocher des buts dans des conditions très acceptables. Hors l’humain, le vivant nous en donne la preuve tous les jours tant les capacités de résilience de la nature sont puissantes. Mais la nature ne prévoit pas, n’anticipe pas. Elle vit, s’auto-régule, apprend, s’adapte et évolue. Le risque zéro ne fait pas parti de ses génomes. En effet, elle ne génère pas les risques qui font basculer les humains vers la tentation du risque zéro. C’est bien parce que nous apportons en permanence du risque que nous devons créer le principe de précaution et le pousser à l’excès. Est-il encore temps d’apprendre les leçons de la nature ou des peuples premiers pour nous sortir de la situation que nous connaissons aujourd’hui ? Finalement, le risque zéro et les dommages qu’il entraîne ne sont qu’un symptôme parmi d’autres de la société humaine que nous avons construite. Saurons-nous intégrer dans le futur les savoirs ancestraux que, comme la nature dont plus faisons partie, nous portons dans nos gènes ? Ceci renvoie au précédent article que j’ai proposé « un regard systémique sur la planète » et qui interroge le monde que nous souhaitons laisser à nos enfants. S’il se construit sur le risque zéro, il pourrait être voué à l’échec.